Consommer ou produire

Bureau Philip JohnsonLa consommation est une activité vile. Il s’agit de destruction de ressources, et cela implique peu d’habiletés. Elle est accessible à n’importe quel porteur d’un moyen de paiement. Il n’y a vraiment pas de quoi être fier d’acheter.

Comment parvenir à pratiquer une telle activité dans un minimum de confort psychologique?

Une approche efficace consiste à requalifier la consommation en production. Prenons exemple sur un maître en la matière : l’éminent sociologue américain George Ritzer. Dans une entrevue accordée à une revue scientifique (1), il a été amené à se prononcer sur l’apparente contradiction entre l’abondance dans laquelle il vit et sa critique de la consommation (il est notamment l’auteur de McDonaldization of Society). Ce qu’il a fait de bonne grâce, et avec brio.

Pour le sociologue, acquérir des objets n’est pas une fin en soi, mais un moyen de vivre de la manière qu’il souhaite. Donc, ce n’est pas ce qu’il consomme mais comment il le consomme qui lui permet d’esquiver ses propres critiques.

Par exemple, sa maison dans le Maryland lui permet de profiter de l’extérieur quotidiennement. Sa maison en Floride lui offre le luxe de pratiquer une de ses activités favorites en plein hiver : la marche. Il faut dire que dans le Maryland, en janvier, les températures atteignent le point de congélation.

Mais voici l’argument massue de Ritzer : comme il travaille régulièrement dans l’une ou l’autre de ses trois maisons, celles-ci deviennent un lieu de travail. Impossible alors de lui reprocher d’acheter quoi que ce soit pour se construire un milieu de travail confortable et stimulant.

Tous ceux qui travaillent dans leur foyer disposent là d’une arme rhétorique imparable. Une partie importante de ce qu’ils consomment peut se justifier comme moyen de production. Ils peuvent donc vivre dans un enviable confort psychologique.

Heureusement, une pirouette intellectuelle similaire est à la portée de tous. On n’acquiert pas des objets de consommation, mais des outils du quotidien. Par exemple, une personne s’achète un VUS pour conduire ses enfants à l’école en sécurité. Parce qu’ils le valent bien. Et chaque bordée de neige lui donne raison.

Il est moralement inattaquable de produire ou, plus prosaïquement, d’acquérir des outils du quotidien. Alors, pourquoi se priver de sublimer la consommation par une petite astuce rhétorique? De cette manière, on peut même justifier d’utiliser les revenus issus de ventes de livres qui critiquent la consommation pour consommer davantage.

(1) Dandaneau, Steven P. et Robin M. Dodsworth (2008), « A Consuming Passion: An Interview with George Ritzer, » Consumption, Markets & Culture, 11 (3), 191-201. doi: 10.1080/10253860802190553

Photo: Melody Kramer [CC BY-NC-SA 2.0], via flickr

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