On ne naît pas cynique, on le devient

CuisineAvant, la vie était simple. Pour savoir quoi en faire, il suffisait d’écouter le curé. Aujourd’hui, on écoute la publicité. Le problème, c’est que les règles du jeu de la société de consommation n’ont pas remplacé la morale chrétienne, elles s’y sont ajoutées. On doit donc en même temps se conformer, respecter les règles et les autres, et se distinguer, montrer son bon goût et sa réussite sociale.

Pour ne pas sombrer dans la névrose, le cynisme est une bonne stratégie, qui consiste à énoncer une chose en faisant son contraire. Être cynique, c’est être ouvertement hypocrite. Cela veut dire que l’on est conscient de ses propres paradoxes, qu’on les assume, voire que l’on s’en fait une fierté.

Il semble que nous, consommateurs contemporains, pratiquons un cynisme tous azimuts. Non seulement serions-nous cyniques envers le marché, mais aussi envers les autres consommateurs et même envers nous-mêmes (1).

Nous sommes cyniques envers le marché parce que nous savons que les compagnies nous prennent pour des cons en nous vendant cher des produits fabriqués à faible coût à l’autre bout du monde. Puisque l’envie d’acheter demeure irrésistible et qu’on n’aime pas être pris pour des cons, on pratique un cynisme défensif.

Nous sommes aussi cyniques envers les autres consommateurs parce que nous considérons qu’ils consomment pour des raisons immorales et pathétiques. Ils cherchent le statut, la distinction, l’appartenance à un groupe ou bien l’augmentation de la confiance en soi. Leur consommation rime avec superficialité, conformisme, narcissisme, snobisme, mégalomanie, etc.

Mais nous sommes aussi cyniques envers nous-mêmes parce que nous sommes assez lucides pour admettre que nous consommons pour les mêmes raisons que les autres. Il semblerait qu’à force d’admirer notre reflet, nous avons remarqué la poutre dans notre œil.

On est tout à fait conscient de se faire avoir, que l’intérêt des compagnies privées est contradictoire avec le nôtre, que la réalité est bien différente de ce que le monde commercial veut nous montrer. Personne n’est dupe.

On a démasqué les acteurs et décodé le système, mais on réalise qu’il ne peut être changé et que l’on ne peut s’en échapper. On se distancie des règles de la société de consommation, mais on prend quand même part à la mascarade.

Alors, nous sommes cyniques. Ça nous permet de continuer à jouer le jeu de la consommation, même s’il est bien loin de nos idéaux. Le cynisme permet d’avoir les mains sales en sauvant la face.

On ne naît pas cynique, on le devient. C’est la force des circonstances. Il y a donc quelque chose de moralement acceptable à être cynique.

Le cynisme est une liberté d’esprit qui permet de continuer à consommer malgré tout. Les autres vont le faire aussi, de toute façon.

Non seulement le cynisme alimente le cynisme, le cynisme s’assume, mais surtout le cynique aime le cynisme et son rejeton, l’ironie (des publicités, des vendeurs, des autres consommateurs…).

Le cynisme est l’une des nombreuses gracieusetés de la société de consommation. Comme elle, il apparaît hautement résilient. Comme elle, il a de beaux jours devant lui.

Photo : John Hickey-Fry [CC BY 2.0] via flickr

(1) Bertilsson, Jon. 2015. « The cynicism of consumer morality ». Consumption Markets & Culture, vol. 18, no 5, p. 447-467. doi : 10.1080/10253866.2015.1038255

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