Les gens de droite sont soit ignorants, soit idéalistes. Par exemple, ils croient encore à l’égalité des chances à l’école, idée anéantie par les travaux de Pierre Bourdieu et quelques collègues, il y a déjà plusieurs décennies. Ils s’offrent du confort intellectuel en pensant qu’ils doivent leur réussite sociale principalement à eux-mêmes. Cette idéologie du mérite est dans l’air du temps et se résume dans l’ineffable slogan de cosmétiques « parce que je le vaux bien ».
Un corollaire à cette vision du monde social est la croyance au libre arbitre, cette idée fondatrice de notre société de consommation selon laquelle chaque citoyen-consommateur est libre d’acheter ce qu’il veut. Cette croyance est fort utile. Par exemple, elle immunise les vendeurs, les publicitaires et tous ceux qui œuvrent dans le monde commercial contre tout reproche de vendre des choses trop chères, inutiles ou nuisibles. La croyance au libre arbitre fonctionne comme un antibiotique à large spectre.
Cette idée de libre arbitre, ou libre choix, ne fait consensus ni parmi les philosophes, ni parmi les scientifiques. Elle est cependant très répandue. Cela s’explique en partie parce que nous faisons des choix qui nous apparaissent exempts d’influence externe. Surtout au centre commercial, peut-être le seul lieu où la liberté débridée est non seulement socialement acceptée, mais encouragée. De ces expériences quotidiennes, on en déduit une théorie, celle du libre arbitre. Mais une étude récente (1) montre que cette croyance au libre arbitre est renforcée par notre motivation à tenir les autres responsables de leurs actions.
Cette étude conclut que la croyance dans le libre arbitre est liée au désir de punir. Croire au libre arbitre a une fonction sociale essentielle, celle de pouvoir condamner légitimement une mauvaise action. Il n’est donc pas étonnant que, dans le système de justice, lorsque le libre arbitre apparaît diminué (démence, jeune âge, etc.) la sentence est réduite. Par ailleurs, dans les pays où le taux de criminalité est plus élevé, la croyance dans le libre arbitre est plus élevée.
Dans cette étude, on apprend aussi que, lorsque confrontée à un comportement fautif (corruption, vol, triche), la croyance dans le libre arbitre en général d’un bon citoyen est plus forte, et pas seulement la croyance dans le libre arbitre du malfaiteur. Cela veut dire que nous augmentons momentanément notre croyance dans le but de tenir l’autre responsable de ses actions. Parce que les malfaiteurs le méritent bien. Et, moi, je mérite bien mon confort intellectuel.
Transposé au monde de la consommation, cette malléabilité de la notion de libre arbitre est éclairante. Cela explique, par exemple, que nous pouvons défendre bec et ongles l’idée du libre arbitre, lors d’une joute verbale avec un gauchiste borné, tout en étant offusqué que notre grand-mère se soit fait vendre un aspirateur par un vendeur itinérant ou un abonnement viager à Sélection du Reader’s Digest.
Plus généralement, ces résultats mettent en évidence qu’une croyance ne dérive pas seulement de notre expérience ou de nos connaissances, mais aussi d’un désir. Ainsi, un parti pris politique serait issu non seulement d’une expérience du monde social, mais aussi d’un désir relié au monde social. En ce qui concerne la consommation, la croyance dans le libre arbitre est renforcée par le désir de tenir les autres responsables de leurs achats, condition sine qua non du libre marché et de la société de consommation. Cela permet d’affirmer que le surendettement, l’obésité, le jeu compulsif, ce n’est pas la faute à la publicité, à la vente et autres activités de marketing, c’est de ta faute, gros cave.
Vive le libre arbitre. Grâce à toi, les gouvernements doivent réglementer au minimum les marchés, tout en engageant des compagnies d’études de marché et des agences de publicité, pour faire des campagnes de marketing social auprès des surendettés, des obèses et des joueurs compulsifs.
(1) Clark, Cory J., Jamie B. Luguri, Peter H. Ditto, Joshua Knobe, Azim F. Shariff et Roy F. Baumeister (2014). « Free to punish: A motivated account of free will belief ». Journal of Personality and Social Psychology, vol. 106, no 4, p. 501-513. doi : 10.1037/a0035880
Photo : SamsungTomorrow [CC BY-NC-SA 2.0] via flickr
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