Acheter, c’est voter?

40 - Acheter, c'est voter« Acheter, c’est voter. » Cette métaphore plaît autant aux tenants du libéralisme économique qu’aux gauchistes naïfs. L’idée sous-jacente est qu’acheter est un acte politique qui peut changer le monde.

Comme toute idée fausse, elle ne l’est pas complètement. Si tout le monde achetait des produits équitables, on vivrait dans un monde meilleur. On aurait éradiqué la pauvreté chez les paysans des pays du Sud et la culpabilité chez les consommateurs des pays du Nord.

Avec cette idée en tête, les consommateurs-citoyens ont l’impression de changer le monde en allant faire l’épicerie. Ainsi, ils ressentent moins le besoin de s’engager collectivement en politique.

Le néolibéralisme, ce n’est pas moins de politique et davantage de marché, c’est la politique par le marché. Dans cette vision, le marché est un lieu d’expression démocratique.

Comment en est-on arrivé à ce formidable consensus idéologique? C’est principalement par le travail intellectuel de certains économistes et par le développement des techniques d’études de marché (1).

En effet, dans la première moitié du 20e siècle, plusieurs éminents économistes ont souligné les similitudes entre le fonctionnement de la politique et celui des marchés. Schumpeter, en particulier, a montré que la politique est un marché où des politiciens se vendent à des électeurs. Donc voter, c’est acheter.

À partir de cette métaphore convaincante, il n’est pas difficile d’amener le bon peuple à penser qu’acheter, c’est voter. Ça prend juste un peu de malhonnêteté intellectuelle, en transposant une propriété mathématique au domaine de la rhétorique (si A = B alors B = A).

Ensuite, on peut laisser libre cours à l’enflure verbale pour arriver à l’idée que le client est roi, le consommateur souverain et le titulaire de la carte du Costco un dieu qui a droit de vie ou de mort sur les petits commerces.

Mais toute cette poutine intellectuelle ne peut expliquer à elle seule à quel point l’analogie marché/démocratie a profondément pénétré nos esprits. Le deuxième élément, crucial, est le développement des techniques d’études de marché (les sondages, les groupes de discussion, les panels de consommateurs, etc.), qui sont une preuve irréfutable que, contrairement aux politiciens, les marchands écoutent attentivement et répondent aux besoins de chacun.

En outre, des techniques mobilisées en provenance des vraies sciences (enregistrement électronique, traitement par ordinateur, méthodes statistiques avancées, etc.) finissent de convaincre que le marché a non seulement l’intention, mais les moyens de répondre parfaitement à nos moindres besoins, même ceux que l’on ignore.

Contrairement aux apparences, l’expression « acheter, c’est voter », ainsi que son corollaire, la consommation responsable, sont des idées profondément néolibérales parce qu’elles réduisent de nombreux problèmes de société à des problèmes de choix individuels sur le marché (endettement, obésité, dégradation environnementale…).

Les entreprises privées pellettent la responsabilité dans la cour du consommateur, qui est sommé de faire des achats responsables, c’est-à-dire bon pour lui, pour les autres et pour la planète.

Quelle hypocrisie! Ce n’est pas de consommation responsable que nous avons le plus besoin, mais de production responsable.

Photo : Daniel Lee [CC BY-NC-ND 2.0] via flickr

(1) Schwarzkopf, Stefan. 2011. « The Consumer as ‘‘Voter,’’ ‘‘Judge,’’ and ‘‘Jury’’: Historical Origins and Political Consequences of a Marketing Myth ». Journal of Macromarketing, vol. 31, no 1, p. 8-18. doi : 10.1177/0276146710378168

 

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