La politique s’inspire du marketing, ce n’est pas nouveau. Mais, aujourd’hui, c’est le marketing commercial qui s’inspire du marketing politique, tant la politique a raffiné certaines techniques empruntées au marketing. Par exemple, lors des campagnes présidentielles de Barack Obama de 2008 et 2012, le micro-ciblage, l’utilisation des médias sociaux et l’analyse de gigantesques bases de données ont été amenés à un niveau de sophistication jamais vu jusqu’alors (1).
Ainsi, aux côtés de Coca-Cola, Red Bull et Apple, les nouveaux dieux du marketing s’appellent désormais Barack Obama, Justin Trudeau et Donald Trump. Ce dernier cas est une aubaine pédagogique puisqu’il cause de la dissonance cognitive chez bien des gens bien et oblige à se mettre à la place de l’autre, exercice nécessaire à tout bon gestionnaire de marketing.
Il apparaît donc justifié de tirer quelques leçons du succès de Trump.
Leçon n° 1 : On peut vendre un produit avec des gros défauts.
À condition qu’il réponde adéquatement à des besoins fondamentaux. Pour les États-Uniens de l’automne 2016, les deux premiers besoins étaient manifestement la sécurité et la prospérité. Or, Trump a réussi à incarner le changement sur ces deux points, tout le reste étant littérature. Il a donc pu s’amuser à être impoli, grossier, provocateur, etc.
Leçon n° 2 : On ne peut quand même pas vendre n’importe quoi.
Les techniques du marketing ne sont pas aussi puissantes qu’on ne le croit parfois, et les gens ne sont pas stupides. L’adéquation entre les promesses et les perceptions a priori, c’est-à-dire la crédibilité, est essentielle. Promesse de changement? Crédible chez Trump grâce à son statut d’outsider. Améliorer la sécurité des États-Uniens? Crédible grâce à son assurance naturelle. Ramener la prospérité? Crédible grâce à son apparent succès dans les affaires.
Leçon n° 3 : Les gens ont besoin de croire.
Et n’ont pas besoin de preuve, il n’y a qu’à voir le succès persistant des religions. L’art de baratiner, ou de « bullshiter », existe parce que les gens ont besoin d’être séduits, c’est-à-dire de croire. La vérité, c’est angoissant, culpabilisant, ennuyeux. Le baratin, c’est séduisant.
Leçon n° 4 : On ne peut pas plaire à tout le monde.
Trump a beaucoup de défauts, dont celui d’être macho, mais cela peut impliquer qu’il a confiance en lui, qu’il est libre d’esprit, puissant, etc. Les mêmes éléments qui plaisent aux uns déplaisent aux autres. Trump a choisi sa cible et s’est positionné clairement, en renforçant une image déjà construite sur des années, donc crédible.
Leçon n° 5 : Il faut créer soi-même son contenu.
Le marketing d’aujourd’hui consiste de plus en plus à capter soi-même l’attention des gens en créant son propre contenu, et donc à contourner les médias traditionnels. Trump a compris cela en faisant une utilisation intensive – et incendiaire – de Twitter. C’est la bonne vieille méthode « directement du manufacturier » : en contournant les intermédiaires, les gens ont l’impression de faire de bonnes affaires et, mieux, de s’affranchir du système. Ces méthodes sont efficaces parce que les gens ignorent le rôle des grossistes et détaillants (ainsi que celui des journalistes).
Leçon n° 6 : Vive le marketing politique!
La conclusion du succès de Trump est que, si les dictateurs se doivent d’être de grands leaders, dorénavant, les démocrates se doivent d’être des as du marketing.
Mais ne tirons pas sur le messager. Le marketing n’est pas bon ou mauvais en soi, ça dépend de ce que l’on en fait. Comme la dynamite. Et, si le marketing n’a pas une bonne image, ça ne veut pas dire que ceux qui s’y associent sont de mauvaises personnes. Comme Trump.
(1) Newman, Bruce I. 2016. « Reinforcing Lessons for Business from the Marketing Revolution in U.S. Presidential Politics: A Strategic Triad ». Psychology & Marketing, vol. 33, no 10, p. 781-795. doi : 10.1002/mar.20917
Photo : Tony Webster [CC BY-NC-ND 2.0] via flickr
Pour une tentative d’explication économique, plutôt que managériale, du succès de Trump, voir mon texte dans Le Devoir intitulé « Voter, c’est acheter ».
Excellent article!
À la base, pour faire du marketing efficace il faut comprendre en profondeur le marché cible. C’est-à-dire, comprendre les besoins et les désirs les plus intimes des consommateurs. Même que dans certains cas, les marketers décèlent les désirs avant même que le consommateur en prenne conscience. C’est peut-être ce qui explique que les sondages pré-élection étaient dans le champs.
Aussi, je pense que Trump s’est démarqué au niveau de la notoriété, dans le sens marketing du terme. Le message véhiculé était clair et simple à comprendre. En plus, l’image de marque (brand) Trump était déjà établie avant même la campagne électorale.
J’adore vous lire! Au plaisir!