Communauté de marque et idéologie marketing

harleyLe développement du Web 2.0 au début des années 2000 a donné des maux de tête aux gestionnaires de marketing. Les consommateurs se sont mis à parler publiquement, ce qui leur a permis d’influencer significativement l’image des marques. Par conséquent, les entreprises ont perdu leur monopole de la gestion de l’identité de la marque. De leur côté, les gestionnaires de marque n’ont pas perdu leur emploi parce qu’ils ont su s’adapter grâce à une idée révolutionnaire : collaborer avec les consommateurs.

Les entreprises se sont notamment rapprochées des consommateurs qui socialisaient déjà autour de leur marque. Des clubs de marque, comme le Harley Owners Group, qui compte aujourd’hui plus d’un million de membres, ont être créés ou récupérés. Et ils ont été requalifiés en communauté, une notion beaucoup plus inclusive et socialement désirable que celle de club. Le concept de communauté de marque allait donner ses lettres de noblesse à un phénomène – un regroupement spontané de consommateurs autour d’une marque – et à une profession – le gestionnaire de communauté ou, mieux, l’animateur de communauté.

En concédant une certaine liberté d’expression aux consommateurs, les gestionnaires de communauté allaient pouvoir en retirer des avantages. Non seulement ils comprendraient mieux leurs besoins, mais surtout ils allaient pouvoir exploiter le potentiel créatif des consommateurs. Les gestionnaires de communauté se sont donc mis à inciter les membres à générer des idées pour de nouveaux produits, des campagnes de publicité, etc., ainsi qu’à les évaluer. Ainsi, des consommateurs se sont mis à faire une partie du travail traditionnellement dévolu aux professionnels du marketing, parfois mieux, et toujours gratuitement.

Tout cela est merveilleux, mais ces communautés n’existent peut-être pas (1). D’un point de vue sociologique, la réalité des communautés de marque ne les qualifie pas comme communautés. On y voit rarement « une forte intrication d’interactions interpersonnelles, ni un attachement durable à un territoire, une identité et une socialité partagée ». Par exemple, quitter une communauté de marque est généralement très facile, contrairement à une vraie communauté. Ajoutons que les anthropologues ont constaté que les communautés trouvent généralement leur totem après s’être formées, alors que dans les communautés de marque le totem existe d’abord, les gens s’y agglutinent ensuite.

Alors, les gestionnaires de marketing ne se posent même pas la question de la réalité de l’existence des communautés de marque peut-être parce qu’ils ont besoin d’y croire, et qu’elles remplissent des fonctions idéologiques. En particulier, cette notion leur permettrait de promouvoir l’acceptabilité sociale de leur travail. La communauté de marque apparaît donc comme une innovation majeure de l’idéologie du marketing.

La notion de communauté de marque enthousiasme les professionnels du marketing parce qu’elle fait disparaître l’antagonisme structurel entre les intérêts des producteurs et celui des consommateurs. Dans le marketing classique, les consommateurs sont ciblés et influencés. En revanche, dans les communautés de marque, les consommateurs sont invités à collaborer. L’entreprise privée en vient à faire partie de la communauté, mais n’en est qu’un membre. Il s’ensuit une impression de rééquilibrage des pouvoirs entre les consommateurs et l’entreprise privée, voire de démocratie.

En outre, la notion de communauté de marque permet à l’entreprise de faire « collaborer » les consommateurs, c’est-à-dire de les faire travailler gratuitement sans que cela ne paraisse. En contribuant à l’amélioration des produits ou d’autres aspects de la stratégie marketing, les consommateurs ont l’impression de contribuer à une noble cause, le bien-être de la communauté. Si le marketing classique propose, et les consommateurs disposent, la communauté propose et dispose. La frontière entre producteur et consommateur tend à disparaître, et par conséquent l’antagonisme.

Par ailleurs, on ne peut résister au plaisir de noter que la communauté de marque fait la promotion d’un communisme virtuel, un communisme… capitaliste. Il régnerait dans le Web 2.0 les notions de partage, de relations mutuellement bénéfiques et des logiques anticorporatives et antipropriété privée. Cependant, ce n’est pas le communisme de Marx et consorts, notamment puisque les institutions capables d’extraire de la valeur économique des activités qui s’y déroulent sont presque inévitablement de propriété privée (ex. Facebook).

La notion de communauté de marque a ceci de formidable qu’elle permet de capitaliser sur des valeurs communistes.

(1) Zwick, Detlev, et Alan Bradshaw. 2016. « Biopolitical Marketing and Social Media Brand Communities ». Theory, Culture & Society, vol. 33, no 5, p. 91-115. doi : 10.1177/0263276415625333

Photo : Gino Carrier [CC BY-NC-ND 2.0] via flickr

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