Clientélisme à l’université

tour-udmAujourd’hui, l’université doit se soumette à une logique de marché, dans le but de mieux répondre aux besoins de la société. Cela implique de considérer les étudiants comme des consommateurs qui, pense-t-on, utiliseront leur pouvoir de choisir pour améliorer l’université et maximiser leurs apprentissages.

Au-delà d’un simple clientélisme, qui considère l’étudiant comme un client dont on doit s’empresser de satisfaire les demandes immédiates et explicites, c’est un véritable consommateurisme (1) qui s’installe à l’université. Au sens large, il s’agit d’une idéologie et d’un dispositif qui consiste à donner davantage de pouvoir au consommateur. Le consommateurisme s’est développé dans le domaine marchand, car on ne peut compter sur la bienveillance des producteurs privés de produits ou de services, pour qui le souci de satisfaction du client, purement instrumental, s’arrime difficilement à l’objectif de générer des profits.

Appliqué à l’université, le consommateurisme se traduit notamment par une offre accrue de choix de cursus, de spécialisations et de cours optionnels, pour que chaque étudiant puisse se concocter une formation à la carte qui répond à ses besoins du moment. Pour que son pouvoir de choisir soit effectif, on lui donne davantage d’information sur le contenu et l’objectif des cours, les méthodes pédagogiques, si ce n’est l’identité du professeur. Le dispositif consommateuriste comprend aussi des procédures de plainte institutionnalisées et des questionnaires de satisfaction.

Si ces mécanismes ont des effets positifs évidents, ils comportent aussi des risques (2), dont le manque de cohérence dans la formation, la dévalorisation des connaissances de base et la tentation de prendre le chemin le plus facile. Ils favorisent la fragmentation des études, par les programmes courts, les études à temps partiel, les cours de soir ou de fin de semaine. Plus fondamentalement, ils délestent l’université de sa responsabilité de guider l’étudiant dans son épanouissement intellectuel.

Si la tendance se maintient, on pourrait se retrouver dans la situation qui prévaut en Grande-Bretagne, en Australie et aux États-Unis, où la logique consommateuriste est tellement poussée que les résultats d’enquêtes de satisfaction des étudiants sont rendus publics. Cette pratique, qui n’a pas d’équivalent dans le secteur commercial, est censée donner du pouvoir aux étudiants-consommateurs, en mettant de la pression sur les universités pour qu’elles s’améliorent.

Mais, dans la réalité, les futurs étudiants ne prennent pas le temps d’aller voir ces données, au format peu digeste, et fondent leur décision sur la réputation des universités. Cette pratique consommateuriste n’a donc pas les effets bénéfiques escomptés pour les étudiants. Néanmoins, la publication de ces sondages conserve une fonction disciplinaire, puisqu’ils sont lus par les administrateurs et les universités concurrentes.

Plus fondamentalement, la publicisation des résultats d’enquêtes de satisfaction des étudiants est absurde parce que l’éducation supérieure n’est pas, aux yeux des étudiants, un produit comme les autres. C’est un bien positionnel, probablement davantage convoité pour sa valeur d’échange que pour sa valeur d’usage. Ainsi, on peut penser que les étudiants, surtout ceux des classes supérieures qui fréquentent les universités les plus réputées, surévaluent leur université, puisqu’ils ont conscience que cela pourrait avoir un impact sur la valeur symbolique de leur diplôme.

En réalité, l’éducation n’est pas un produit à s’approprier, mais un processus susceptible de transformer la vie des êtres humains. Alors, penser que l’enseignement universitaire est un service semblable aux autres, qui s’améliore par la discipline du marché, est le comble de l’aveuglement néolibéral.

Photo : Sandra Cohen-Rose et Colin Rose [CC BY 2.0] via flickr

(1) Selon l’Office québécois de la langue française, le terme consommateurisme est préférable à consumérisme, calque morphologique du terme anglais consumerism (www.granddictionnaire.com).

(2) Naidoo, Rajani, Avi Shankar et Ekant Veer. 2011. « The consumerist turn in higher education: Policy aspirations and outcomes ». Journal of Marketing Management, vol. 27, no 11-12, p. 1142-1162. doi : 10.1080/0267257X.2011.609135

Une réflexion sur “Clientélisme à l’université

  1. Pingback: La marchandisation de l’éducation, le clientélisme universitaire et leurs contraires: pistes de réflexion – Écritures à l'envers

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