La consommation est une activité géniale. Elle permet notamment de compenser pour nos frustrations, et même pour les menaces à notre amour propre. Il y a d’autres façons de compenser : se plonger dans le travail, se noyer dans la religion, se défoncer dans le sport. Mais consommer est la méthode qui demande le moins d’effort, ou plutôt un effort pelleté dans la cour de la carte de crédit.
Mais attention, ce n’est pas toujours une bonne stratégie, surtout lorsque nous tentons de compenser dans la même sphère de notre vie qui pose problème. Par exemple, si quelqu’un dans mon entourage me traite d’inculte, et que cela m’atteint, je pourrais regarnir ma bibliothèque avec, par exemple, les Nourritures terrestres de Gide ou Crime et châtiment de Dostoïevski. A priori, c’est plus logique que d’inviter des amis à souper pour se mettre du baume au cœur.
Le problème est que le simple fait de voir ces livres dans ma bibliothèque, à côté du Guide de l’auto de Duval, risque de me ramener à mon inculture. Je vais probablement ruminer à propos de la question qui fâche, ce qui n’est déjà pas agréable en soi.
Mais le fait de ruminer va me poser d’autres problèmes qui n’apparaîtront pas directement reliés. La rumination consomme de l’énergie, aussi bien intellectuelle qu’émotionnelle. Il restera donc moins d’énergie pour autre chose. Par exemple, dans cet état, on a tendance à moins se contenir devant des friandises (puisque cela demande un effort mental) et même à moins bien réussir un exercice de mathématique (1).
Alors finalement, si quelqu’un me fait sentir inculte, je devrais inviter des amis à souper. L’idée est de renforcer son ego en général.
En fait, si on part du principe que la culture et les relations interpersonnelles sont deux domaines de la vie susceptibles de renforcer l’estime de soi, une menace dans l’un devrait être compensée dans l’autre, pour éviter de ruminer sur le problème de départ, et donc de perdre une partie de ses moyens.
Ainsi, si quelqu’un nous fait sentir que l’on n’a pas beaucoup d’amis, on devrait acheter un livre de Dostoïevski, plutôt que d’essayer de s’en faire des nouveaux.
Mais, si on est inculte et qu’on n’a pas d’amis, ça va être plus difficile.
Finalement, selon cette logique, acheter une grosse voiture pour compenser un petit engin est une relativement bonne stratégie, en tout cas meilleure que d’acheter des condoms XL. Dans ce cas, le Guide de l’auto sera plus utile que les Nourritures terrestres.
(1) Lisjak, Monika, Andrea Bonezzi, K. I. M. Soo et Derek D. Rucker. 2015. « Perils of Compensatory Consumption: Within-Domain Compensation Undermines Subsequent Self-Regulation ». Journal of Consumer Research, vol. 41, no 5, p. 1186-1203. doi : 10.1086/678902
Photo : Pinot Dita [CC BY-NC 2.0] via flickr