Angie est une états-unienne de 30 ans, titulaire d’un diplôme universitaire, mariée, avec une fille de deux ans, et gagne 50 000 $ par année. Voici comment elle justifie le montant élevé de ses dettes à la consommation, qui ont fortement augmenté au moment de son déménagement dans son nouveau quartier :
« Je me suis dit “Bon, on ne peut pas emménager avec ces meubles” et on a acheté tous ces meubles neufs, sinon j’aurais été mal à l’aise que des gens rentrent dans ma maison. Des gens comme nous ne devraient pas vivre ici sans jouer le jeu. Vous savez, il y a certains types de règles à suivre, alors on a acheté les meubles avec la carte de crédit. Et ensuite il y a eu la fourgonnette; c’est l’auto à avoir avec un bébé. Je ne sais pas trop si on essaie de faire mieux que nos voisins. » (1)
Il est sidérant de voir la lucidité de cette consommatrice. Elle décrit clairement le plus puissant mécanisme de la société de consommation : la pression sociale. Beaucoup plus subtile que la publicité, la pression sociale n’est pas née avec la société de consommation, mais elle la sert copieusement. Comme la culpabilité pour la religion catholique.
Cependant, cette citation est très inquiétante. La clairvoyance n’empêche pas de se plier totalement aux diktats de la société de consommation.
La pression sociale est en effet très puissante. Son efficacité vient en partie de son aspect démocratique : nous sommes tous consentants, victimes et bourreaux, à tour de rôle.
Par exemple, dans mon salon trône encore un téléviseur xxe siècle. L’énormité de la chose est susceptible de susciter le ricanement de ceux qui entrent chez moi. Mais, à mon grand étonnement, cela ne s’est pas encore produit devant moi.
Néanmoins, ma posture intellectuelle ne m’empêche pas d’être bourreau à mes heures. Par exemple, j’ai été assez imbécile pour acheter un vélo très cher. Je ne me suis donc pas privé d’être condescendant vis-à-vis des pauvres cyclistes ordinaires (très discrètement, bien entendu).
Force est de constater que, chaque fois que quelqu’un acquiert un nouvel objet, il ne peut s’empêcher de le vendre à son entourage, discursivement parlant. Ça améliore la vie! On en a besoin! Il faut savoir se faire plaisir! On travaille fort! On le mérite!
Mais il est paradoxal d’inciter l’autre à nous rattraper dans la compétition sociale de la consommation. Il s’agit en fait d’un sadisme bien ordonné, où on fait sentir à l’autre qu’il est en train de rater le train du progrès.
La deuxième raison de cette pratique sadique généralisée pourrait être qu’à chaque achat de gadget, la quasi-inutilité de la chose remonte à notre conscience. Et si nos proches n’acquièrent pas bientôt un objet comparable (mais un peu plus bas de gamme, s’il vous plaît), cela confirme notre pressentiment. On est un acheteur compulsif, un consommateur irresponsable, un être raté qui place la vile consommation au cœur de sa vie. Alors il est urgent d’être imbéciles tous ensemble.
Si on est en retard sur la consommation des autres, on est victime; si on est en avance, on est bourreau. La consommation est une activité sadomasochiste.
(1) Bernthal, Matthew J., David Crockett et Randall L. Rose (2005), « Credit Cards as Lifestyle Facilitators », Journal of Consumer Research, 32(1), 130-145. doi: 10.1086/429605 (traduction libre)
Photo : David Kent [CC BY-NC-ND 2.0] via flickr
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