Le disque vinyle : retour vers le futur

38 - In the Court of the Crimson KingAprès avoir été lâchement abandonné par l’industrie de la musique dans les années 1980, le disque vinyle a fait un retour remarqué dans les 10 dernières années. Différentes explications ont été données, allant de la nostalgie au fétichisme. Mais, pour bien comprendre le phénomène, il faut d’abord se poser deux questions préliminaires.

Première question : pourquoi le vinyle a-t-il été abandonné par l’industrie? Parce que le CD offre une qualité d’écoute supérieure? Il faudrait être naïf de penser cela. L’industrie de la musique ne cherche pas notre bonheur musical. Le CD a plutôt été une formidable occasion de rééditer un nombre incroyable d’œuvres musicales, et de vendre des lecteurs CD.

Deuxième question : pourquoi la résurgence du vinyle nous étonne-t-elle? Parce que nous sommes persuadés que le passage du vinyle au CD s’est fait dans le strict intérêt des consommateurs. Nous sommes aveuglés par l’idéologie du progrès et celle du libre marché. En fait, nous assumons systématiquement qu’un changement dans le marché est toujours pour le mieux, et que le neuf tue le vieux.

Venons-en à la brûlante question : pourquoi le vinyle, le médium de la musique le plus cher et le moins pratique, résiste et renaît? Les explications ne se trouvent pas dans l’objet, mais dans la façon de se représenter l’objet et de l’utiliser, et dans sa connotation sociale (1). C’est une des choses que les économistes comprennent difficilement.

Les vinyles offrent d’abord une sécurité ontologique, c’est-à-dire qu’il est facile de se représenter ce qu’ils sont, puisqu’on les voit et que l’on peut les toucher. Comme tout objet physique, ils se dégradent avec le temps et demandent de l’attention. Ainsi, le disque vinyle a quelque chose d’humain.

Aussi, le vinyle permet des choses étrangères au fichier MP3. En plus de nous appartenir clairement, ils prennent de la patine, certains sont rares et on peut les collectionner. Ça ressemble à quoi, un fichier MP3 usagé? Y a-t-il des fichiers MP3 difficiles à trouver? Qui collectionne les fichiers MP3?

Ensuite, la façon d’utiliser un vinyle est aux antipodes du fichier MP3. Il exige d’être manipulé avec précaution et, si on n’y prête pas attention, cesse de remplir sa fonction à mi-écoute. L’utilisation du vinyle s’apparente à un rituel qui incite au respect de la musique. Sa pochette, une œuvre d’art à part entière magnifiée par la taille, intensifie l’expérience. Il ne stimule pas seulement l’ouïe, mais aussi la vue et le toucher, et même l’odorat.

En fait, le fichier MP3 est au disque vinyle ce que le centre commercial est au centre-ville : très pratique, mais aseptisé et déshumanisé.

Finalement, le vinyle a une connotation sociale particulière. C’est un produit exclusif parce qu’il est cher, qu’il ne sera plus jamais produit en masse, et qu’il est associé aux univers cool des DJ et de la musique urbaine, et au domaine raffiné du rock progressif. C’est aussi un produit rebelle, qui permet une expérience de la musique radicalement différente de ce qui est offert – et contrôlé – par les plateformes numériques des multinationales.

Fondamentalement, le vinyle est un antidote aux plus tenaces valeurs consuméristes que sont le confort et la performance.

Le vinyle est un objet unique, car il est « exclusif mais pas élitiste, sophistiqué mais pas snob, traditionnel mais pas conservateur, différent mais pas prétentieux ».

Le vinyle exemplifie magistralement l’idée selon laquelle le message, c’est le médium.

Photo : Ian Burt [CC BY 2.0] via flickr

(1) Bartmanski, Dominik et Ian Woodward. 2015. « The vinyl: The analogue medium in the age of digital reproduction ». Journal of Consumer Culture, vol. 15, no 1, p. 3-27. doi : 10.1177/1469540513488403

Pour aller plus loin sur la nostalgie dans la musique populaire, voir ma thèse de doctorat.

Nostalgie, argent et rock’n’roll

Rock'n'roll'marchetteUne étude récente a montré quelque chose d’étonnant : lorsque l’on ressent de la nostalgie, on est moins attaché à l’argent (1).

Il faut d’abord préciser que la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Du 17e siècle jusqu’aux années 1970, elle était considérée comme une maladie. Mais, depuis les années 1980, elle est vue comme une réaction humaine normale. Et, depuis une dizaine d’années, une série de recherches montre l’effet positif de la nostalgie sur le bien-être psychologique. La nostalgie est aujourd’hui considérée comme un sentiment ambivalent, mais principalement positif (2).

Allez savoir pourquoi on n’a pas allumé plus tôt, disons au 18e siècle. Il semble en effet assez évident que, lorsque l’on est nostalgique, c’est par définition d’un passé heureux? Et pourquoi est-ce qu’aimer le passé impliquerait de ne pas aimer le présent (être malheureux) ou ne pas aimer le futur (être pessimiste)?

Avec cette vision positive de la nostalgie, l’idée selon laquelle ressentir de la nostalgie nous aide à nous détacher de l’argent devient plus claire (à condition de ne pas être nostalgique de l’ancienne définition de la nostalgie).

En effet, dans nos souvenirs nostalgiques se trouve notre propre personne en relation avec les autres, de manière proéminente. Donc, ressentir de la nostalgie implique souvent de se remémorer des relations hautement satisfaisantes avec des êtres chers. Ainsi, le sentiment de nostalgie peut s’accompagner du sentiment d’avoir été bien entouré, renforçant notre confiance dans notre capacité d’avoir un bon réseau social, et donc notre motivation pour entrer en relation avec les autres. Ici et maintenant.

Or, le réseau social et l’argent sont des ressources pour l’individu, qui lui permettent de répondre à ses besoins et désirs. Elles ont comme particularité d’être partiellement interchangeables. En effet, l’argent peut compenser pour le manque de réseau social et vice-versa (ex. : déménagement). En fait, l’argent nous rend moins dépendants des autres, et les autres nous rendent moins dépendants de l’argent. On peut même se louer un ami sur rentafriend.com ou acheter des services très personnels.

Donc, si on ressent de la nostalgie, on pense davantage à ses relations sociales et on est moins attaché à l’argent. Il apparaît d’ailleurs que les gens qui ont des relations sociales peu satisfaisantes sont plus avides d’argent.

Mais attention! Puisqu’on est moins attaché à l’argent lorsque l’on est nostalgique, on risque de s’en départir plus facilement. Cela expliquerait partiellement pourquoi les groupes de rock des années 1970 (ex. : The Rolling Stones, Led Zeppelin et même le bassiste de Pink Floyd tout seul) peuvent fixer des prix aussi élevés pour leurs billets de concerts, ces orgies de nostalgie.

(1) Lasaleta, Jannine D., Constantine Sedikides et Kathleen D. Vohs. 2014. « Nostalgia Weakens the Desire for Money ». Journal of Consumer Research, vol. 41, no 3, p. 713‑729. doi : 10.1086/677227

(2) Pour aller plus loin sur le concept de nostalgie, voir ma thèse de doctorat, qui traite aussi de sa récupération commerciale, le rétromarketing (dans le rock’n’roll). En ce qui concerne les raisons du phénomène rétro, voir ce document, qui se trouve être un extrait remanié de ma thèse.

Photo: Götz Keller [CC BY-NC 2.0] via flickr