Voter, c’est acheter

Acheter c’est voter ? Quelle fumisterie néolibérale ! Par contre, peut-être que voter, c’est acheter. Cette idée pourrait aider à comprendre pourquoi environ la moitié des États-uniens ont voté pour Donald Trump en 2016.

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Photo : Flavio [CC BY-NC 2.0] via flickr

La souveraineté du consommateur

GodardQu’est-ce que la société de consommation? Une société où la consommation occupe une place prépondérante. Où le marché nous donne accès à une multitude de plaisirs, de styles de vie et d’identités. Où nos activités de consommation (objets et activités) nous définissent davantage que nos activités de production (professionnelles ou bénévoles).

Mais pourquoi fallait-il que la consommation devienne importante? Parce que le fonctionnement de l’économie de marché en dépend. D’ailleurs, au besoin, on ressert cet argument létal pour justifier n’importe quel achat : « C’est bon pour l’économie! »

Il reste encore la question de savoir comment la consommation a pris une place démesurée dans nos vies. On n’achète tout de même pas un spa à 7999 $ pour faire du bien à l’économie. Pour se faire plaisir? Certainement. Pour montrer ses capacités financières? Sans aucun doute. Parce qu’on le mérite? Bien sûr.

Mais peut-être que nous chérissons la consommation parce qu’il s’agit de la seule sphère de notre vie où nous nous sentons libres et puissants, en un mot : souverains. Mais d’où vient cette idée de souveraineté du consommateur qui, contrairement à la souveraineté du peuple en démocratie, n’a pas été obtenue de haute lutte?

Les théoriciens du libéralisme économique veulent nous faire croire que cette idée de souveraineté marchande est issue des penseurs des Lumières. Spécifiquement, la notion de souveraineté du peuple serait la mère de celle de souveraineté du consommateur. Cette dernière est donc empreinte de modernité, de progrès et de démocratie.

L’idée, séduisante pour les consommateurs qui se trouvent ainsi couronnés, est de ce fait philosophiquement solide et moralement supérieure. Une conséquence de cette façon de penser est l’expression vicieuse « Acheter, c’est voter. »

En réalité, l’origine du concept de souveraineté du consommateur ne serait pas moderne et rationnelle, mais plutôt médiévale et religieuse (1). Le consommateur est un dieu tout puissant qui, en faisant des choix libres dans le marché, a droit de vie ou de mort sur les fabricants et détaillants.

En effet, au Moyen Âge, la seule source d’autorité et de puissance était divine. À la Renaissance, des monarques se sont arrogé la puissance de Dieu pour devenir eux-mêmes souverains. Un gros travail intellectuel a été réalisé ensuite par les philosophes des Lumières pour remettre cette souveraineté dans les mains du peuple. Ensuite, il restait juste aux théoriciens du libéralisme économique à effectuer une translation du système politique vers le marché. La souveraineté du peuple a été transformée en souveraineté des consommateurs.

Or, considérer les consommateurs comme souverains n’est pas anodin. Cela implique que, à l’instar de Dieu, ils sont infaillibles. Comme le souverain ne peut faire que le bien, il s’ensuit que « le consommateur a toujours raison ». Le problème est que le consommateur-roi peut devenir un tyran.

Cette notion de souveraineté du consommateur est, bien entendu, une illusion. Certains marchés sont de plus en plus réglementés : alcool, tabac, jeux, nourriture, etc. D’autres sont interdits : drogue, prostitution, organes, etc.

Concrètement, la souveraineté du consommateur inclut le droit d’acheter n’importe quoi, pourvu que ce soit légal, sans être moralement jugé. Ainsi, dans le monde merveilleux du marché, un film pornographique n’a pas moins de valeur qu’un film de Jean-Luc Godard.

Vive le marché! Vive le roi!

(1) Schwarzkopf, Stefan (2011). The Political Theology of Consumer Sovereignty: Towards an Ontology of Consumer Society. Theory, Culture & Society, 28(3), 106-129. doi: 10.1177/0263276410396912

Photo : Mypouss [CC BY-NC-ND 2.0] via flickr

La fin du marketing

CouronneAvant, les compagnies pouvaient nous entourlouper avec leur marketing : publicités alléchantes, marques clinquantes, marchandisage subtil, prix racoleurs ou au contraire distinctifs.

Aujourd’hui, les entreprises n’ont plus d’autres choix que de vendre d’excellents produits. C’est la fin du marketing, le fils indigne de l’économie de marché.

En effet, le consommateur est devenu le roi du marché grâce à Internet 2.0. On y retrouve des évaluations des utilisateurs de produits et services que l’on convoite, sur de nombreux sites, même marchands. Désormais, chacun d’entre nous dispose d’une information fiable, complète, accessible et abondante, en un mot parfaite, pour faire des choix optimaux. Le consommateur dispose d’un pouvoir sans précédent pour choisir les meilleurs produits.

En tous cas, c’est ce que veulent nous faire croire les idéologues du libre marché.

Malheureusement, des recherches ont montré que ces évaluations d’utilisateurs souffrent de nombreux problèmes.

D’abord, certains s’expriment davantage que les autres : ceux qui ont envie de se plaindre ou, au contraire, ceux qui ont envie de se vanter d’avoir choisi (et d’avoir les moyens de se payer) un produit qui les rend supérieurs aux autres.

Ensuite, les utilisateurs qui commentent ont un comportement moutonnier : ils sont influencés par les avis précédents.

Ajoutons qu’un nombre significatif de ceux qui donnent leur avis le font sans avoir utilisé le produit.

Bien entendu, il y a aussi les avis fictifs déposés par la compagnie qui commercialise le produit, et ceux déposés à propos des produits concurrents.

Par ailleurs, on a constaté des différences culturelles dans l’utilisation des échelles : les Nord-Américains utilisent plus volontiers les extrêmes (très bon ou très mauvais) que les Asiatiques, généralement plus mesurés.

Plus fondamentalement, on peut se demander quels critères les gens utilisent pour évaluer le produit : la performance absolue, le rapport qualité-prix ou le délai de livraison?

Il existe aussi un phénomène appelé substitution de réponse, qui est de communiquer autre chose que ce que la question pose. Par exemple : j’évalue négativement un produit pour évacuer la frustration de l’avoir acheté sous la pression de ma conjointe. C’est tout de même mieux qu’une chicane de couple.

À cette liste d’ores et déjà édifiante, une nouvelle étude (1) montre que, pour une série de produits dont on peut évaluer la qualité objective (ex. : appareils électroniques), la corrélation entre les avis des utilisateurs et les évaluations de la revue Consumer Reports est faible. Dit autrement, les évaluations des consommateurs ne sont pas un bon indicateur de la qualité objective des produits.

Plus troublant, les prix sont davantage corrélés avec les évaluations de Consumer Reports que ne le sont les avis des utilisateurs. Dit autrement, le prix serait un meilleur indicateur de qualité des produits que les avis des utilisateurs.

Plus troublant encore, le prix et l’image de marque ont une influence plus élevée sur les évaluations des consommateurs que les scores de qualité objective de Consumer Reports. Dit autrement, ces deux variables stratégiques du marketing, le prix et l’image, influencent davantage la perception des consommateurs qui donnent leur avis sur Internet concernant la qualité du produit, que la qualité objective du produit.

Et ces avis influencent les autres consommateurs, nonobstant la taille de l’échantillon, la variance dans les évaluations, et tout ce qui précède.

Il semble donc que les prix et l’image de marque influencent les consommateurs qui publient des évaluations de produits sur Internet, lesquelles influencent à leur tour d’autres consommateurs. La beauté de la chose est que ces derniers pensent faire des choix objectifs.

Le marketing est mort? Vive le marketing (2.0)!

Photo : jason train [CC BY 2.0] via flickr

(1) De Langhe, B., Fernbach, P. M., et Lichtenstein, D. R. (2016). Navigating by the Stars: Investigating the Actual and Perceived Validity of Online User Ratings. Journal of Consumer Research, 42(6), 817-833. doi : 10.1093/jcr/ucv047

 

Magique marché

45 - MotoneigeLe marché est un lieu magique. Ce qui se passe sur le marché ne peut pas être immoral (contraire à la morale), puisque le marché est une institution amorale (étrangère à la morale). Notre seule obligation, comme consommateur, est de payer. La seule interdiction est de voler. La vie économique est tellement plus simple que la vie sociale ou politique!

Ainsi, le marché est le seul endroit civilisé où l’on jouit d’une vraie liberté. Il n’y a pas de contrainte imposée par la nature ou par les autres êtres humains. Chacun peut exercer son libre choix, obtenir ce qu’il désire, indépendamment des autres et sans besoin de justification. Dans le marché, les consommateurs contrôlent leur destinée et leur identité.

En ce sens, le marché est l’institution par excellence qui permet la mise en œuvre de la philosophie des Lumières (1). Si, jusqu’ici, c’était la science qui portait les promesses d’émancipation de l’espèce humaine, il n’est pas exagéré d’affirmer qu’aujourd’hui, c’est l’économie – se voulant d’ailleurs une science – qui nous promet un avenir meilleur.

L’économie est, à l’instar de la science, un domaine de la vie dont les principes ne sauraient être contaminés par d’autres domaines. La science est le domaine de la raison et de l’objectivité. L’esthétique (principe du domaine des arts) et l’équité (principe du domaine de la morale) sont étrangères à la science.

Parallèlement, l’économie est le domaine de l’allocation efficiente des ressources. La démocratie (principe du domaine politique) et la civilité (principe du domaine social) sont étrangères à l’économie.

Demander à l’économie d’être démocratique et civilisée, c’est comme prendre une motoneige pour traverser une rivière dégelée. Ce n’est pas fait pour ça. Mais il y en a qui essayent quand même.

Les principes de l’économie de marché sont tellement intouchables que l’égoïsme y est encouragé. En effet, un postulat de base de l’économie classique est que le marché transforme la recherche de l’intérêt égoïste de chacun en intérêt collectif.

Si on doute de la pertinence de l’un de nos achats, ne se dit-on pas que c’est bon pour l’économie?

Le marché est un lieu magique : il transforme n’importe quel acte d’achat en acte civique.

Mais, surtout, le marché est un espace d’apparente liberté qui encourage non seulement l’égoïsme, mais aussi le narcissisme, voire le sadisme, et la mégalomanie.

Comment y résister?

(1) Fırat, A. Fuat. 2013. « Marketing: Culture Institutionalized ». Journal of Macromarketing, vol. 33, no 1, p. 78-82. doi : 10.1177/0276146712465187

Photo : Toan-Nguyen [CC BY-NC 2.0] via flickr

Le pouvoir des consommateurs

Petit pouletLe 21e siècle est l’âge d’or du consommateur. Grâce à Internet, nous disposons d’un pouvoir sans précédent de comparer d’innombrables offres, et d’exprimer notre satisfaction et notre insatisfaction. Nous oublions que le marketing a simultanément raffiné ses techniques en traquant, modélisant et ciblant tout le monde tout le temps. Mais au moins avons-nous gagné l’impression d’avoir plus de pouvoir face aux producteurs.

Donner plus de pouvoir au consommateur ne déplaît aux entreprises privées. En fait, l’éducation des consommateurs constitue leur réponse de choix aux grands problèmes de société créés par le marché. Obésité? Endettement? Jeu compulsif? Il suffit d’éduquer les consommateurs à s’empiffrer raisonnablement.

Si cette réponse éducative réduit les problèmes sociaux à des problèmes de choix sur un marché, la notion même de pouvoir du consommateur est réduite au pouvoir de choisir entre des produits sur un marché (1).

Or, un consommateur qui dispose d’un réel pouvoir devrait être en mesure de choisir entre les solutions offertes par le marché et d’autres en dehors de celui-ci. Mais on pense rarement en ces termes, tant le libre marché est bienveillant envers nous. Le marché semble répondre à tous les besoins et ne fait pas de discrimination politique et encore moins de jugement moral. L’écologiste bobo peut s’acheter une Toyota Prius; le pseudo-écolo, un mastodonte de VUS hybride; et l’écolo nanti, une Porsche Panamera hybride.

Mais, s’il n’y a pas une offre de transport en commun pratique, fiable et sûre, si le réseau cyclable et piétonnier est déficient ou encombré, le consommateur dispose d’un pouvoir limité de choix dans ses déplacements. Pour augmenter son pouvoir, il devrait s’engager en politique.

Or, il est plus facile de choisir un produit sur un marché que de s’engager en politique.

Néanmoins, le consommateur n’est pas crétin et sent bien que l’idée selon laquelle le marché est l’institution par excellence pour assurer le bon fonctionnement de la société est une idée fallacieuse. Son envie de s’engager en politique demeure, fusse-t-elle velléitaire.

Heureusement, le marché répond à tous nos besoins, y compris l’envie d’engagement politique ou, euphémisme, d’engagement citoyen. Il offre beaucoup plus que des produits. Il se fend en quatre pour nous donner l’impression que nos achats améliorent la société. En soutenant de nobles causes, les entreprises privées nous dispensent d’avoir un engagement citoyen. Par exemple, il plus facile de fréquenter les rôtisseries St-Hubert que de défendre les droits des animaux (des poulets, disons).

Le marché est un lieu magique, la seule grande institution qui permet de faire une bonne action en assouvissant ses pulsions. Mieux, il nous donne un réel pouvoir, c’est-à-dire la possibilité de modifier des choses en notre faveur. Mais il s’agit seulement de modifier des produits ou des services. Pour le reste, il faut s’engager en politique.

Photo : Racineur [CC BY-NC-ND 2.0] via flickr

McShane, Lindsay et Sabadoz, Cameron (2015). Rethinking the concept of consumer empowerment: recognizing consumers as citizens. International Journal of Consumer Studies, 39(5), 544-551. doi: 10.1111/ijcs.12186