Le peuple québécois est le seul en Amérique du Nord à aimer suffisamment ses enfants pour interdire la publicité à ceux qui ont moins de 13 ans. Les entreprises privées acceptent difficilement notre loi, et certaines l’enfreignent sans gêne. Par exemple McDonald’s, Burger King, Saputo, Maple Leaf, General Mills ont plaidé coupable d’avoir fait de la publicité aux enfants. Coca-Cola aurait plaidé l’ignorance.
Dans ce contexte, les jeux vidéo en ligne constituent une aubaine pour les annonceurs. Non seulement ils permettent de contourner la loi québécoise, mais l’intégration des marques et des produits dans l’environnement du jeu rendrait la publicité plus efficace. En effet, il devient plus difficile de reconnaître l’intention persuasive dans un tel contexte.
Or, les enfants ne sont pas bien équipés pour résister à la séduction douteuse de la publicité. Jusque vers 5 ans, ils ne font même pas la distinction entre l’annonce publicitaire et l’émission de télévision. Vers 8 ans, ils commencent à comprendre l’origine commerciale et l’intention persuasive des annonces. Mais ce n’est que vers 12 ans qu’ils saisissent vraiment la nature de la publicité.
Ces stades de développement s’appliquent à la publicité classique des médias de masse. Celle qui interrompt l’émission et qui dit « achetez-moi, achetez-moi ». Mais, dans les jeux vidéo en ligne, la publicité est subtilement intégrée. Or, la reconnaissance de l’intention persuasive se développe plus lentement pour ces publicités intégrées, que ce soit dans les jeux ou dans les films.
Alors que faire pour protéger nos enfants contre ces nouvelles formes de publicité? La réponse du monde commercial est claire : éduquer nos enfants! Et il se propose de le faire lui-même et gratuitement!
Son argument (séduisant) est le suivant : si les enfants connaissent mieux les rouages de la publicité, ils peuvent mieux faire la part des choses.
Or, rien n’est moins sûr. L’hypothèse selon laquelle les enfants appliqueront leurs connaissances pour résister à la persuasion publicitaire n’est pas soutenue dans la littérature scientifique. Mais, comme elle ne va pas à l’encontre du bon sens, cette idée est véhiculée avec succès par ceux qui veulent séduire nos enfants.
En réalité, ce qui permet aux enfants de résister à la persuasion de la publicité, ce n’est pas la connaissance à propos de la publicité (origine commerciale et intention de persuasion), mais une attitude critique envers elle (1). Or les jeunes de 9 à 12 ans en connaissent beaucoup sur le sujet, mais sont peu critiques. En outre, comme les adultes, ils pensent que la publicité influence les autres, mais pas eux.
En fait, connaître les mécanismes de la publicité ne se transforme pas magiquement en une habileté à la critiquer, et donc à s’autodéfendre intellectuellement. Comme la persuasion publicitaire s’adresse le plus souvent aux sentiments, à l’irrationnel, une connaissance technique et rationnelle de la publicité ne constitue pas un mécanisme de défense.
En revanche, une attitude critique envers la publicité s’imprègne dans les sentiments d’une personne. Elle peut donc contrer la persuasion publicitaire sur son terrain (les sentiments).
Clairement, il est un âge en dessous duquel il est inapproprié que des enfants soient exposés à de la publicité. Ce n’est probablement pas le même que pour la pornographie, mais le principe est tout aussi important.
Photo : Danilla [CC BY-NC-ND 2.0] via flickr
(1) Rozendaal, Esther, Noortje Slot, Eva A. van Reijmersdal et Moniek Buijzen. 2013. « Children’s Responses to Advertising in Social Games ». Journal of Advertising, vol. 42, no 2-3, p. 142-154. doi : 10.1080/00913367.2013.774588