Publicité aux enfants : l’éducation ne suffit pas

44 - Publicité IndeLe peuple québécois est le seul en Amérique du Nord à aimer suffisamment ses enfants pour interdire la publicité à ceux qui ont moins de 13 ans. Les entreprises privées acceptent difficilement notre loi, et certaines l’enfreignent sans gêne. Par exemple McDonald’s, Burger King, Saputo, Maple Leaf, General Mills ont plaidé coupable d’avoir fait de la publicité aux enfants. Coca-Cola aurait plaidé l’ignorance.

Dans ce contexte, les jeux vidéo en ligne constituent une aubaine pour les annonceurs. Non seulement ils permettent de contourner la loi québécoise, mais l’intégration des marques et des produits dans l’environnement du jeu rendrait la publicité plus efficace. En effet, il devient plus difficile de reconnaître l’intention persuasive dans un tel contexte.

Or, les enfants ne sont pas bien équipés pour résister à la séduction douteuse de la publicité. Jusque vers 5 ans, ils ne font même pas la distinction entre l’annonce publicitaire et l’émission de télévision. Vers 8 ans, ils commencent à comprendre l’origine commerciale et l’intention persuasive des annonces. Mais ce n’est que vers 12 ans qu’ils saisissent vraiment la nature de la publicité.

Ces stades de développement s’appliquent à la publicité classique des médias de masse. Celle qui interrompt l’émission et qui dit « achetez-moi, achetez-moi ». Mais, dans les jeux vidéo en ligne, la publicité est subtilement intégrée. Or, la reconnaissance de l’intention persuasive se développe plus lentement pour ces publicités intégrées, que ce soit dans les jeux ou dans les films.

Alors que faire pour protéger nos enfants contre ces nouvelles formes de publicité? La réponse du monde commercial est claire : éduquer nos enfants! Et il se propose de le faire lui-même et gratuitement!

Son argument (séduisant) est le suivant : si les enfants connaissent mieux les rouages de la publicité, ils peuvent mieux faire la part des choses.

Or, rien n’est moins sûr. L’hypothèse selon laquelle les enfants appliqueront leurs connaissances pour résister à la persuasion publicitaire n’est pas soutenue dans la littérature scientifique. Mais, comme elle ne va pas à l’encontre du bon sens, cette idée est véhiculée avec succès par ceux qui veulent séduire nos enfants.

En réalité, ce qui permet aux enfants de résister à la persuasion de la publicité, ce n’est pas la connaissance à propos de la publicité (origine commerciale et intention de persuasion), mais une attitude critique envers elle (1). Or les jeunes de 9 à 12 ans en connaissent beaucoup sur le sujet, mais sont peu critiques. En outre, comme les adultes, ils pensent que la publicité influence les autres, mais pas eux.

En fait, connaître les mécanismes de la publicité ne se transforme pas magiquement en une habileté à la critiquer, et donc à s’autodéfendre intellectuellement. Comme la persuasion publicitaire s’adresse le plus souvent aux sentiments, à l’irrationnel, une connaissance technique et rationnelle de la publicité ne constitue pas un mécanisme de défense.

En revanche, une attitude critique envers la publicité s’imprègne dans les sentiments d’une personne. Elle peut donc contrer la persuasion publicitaire sur son terrain (les sentiments).

Clairement, il est un âge en dessous duquel il est inapproprié que des enfants soient exposés à de la publicité. Ce n’est probablement pas le même que pour la pornographie, mais le principe est tout aussi important.

Photo : Danilla [CC BY-NC-ND 2.0] via flickr

(1) Rozendaal, Esther, Noortje Slot, Eva A. van Reijmersdal et Moniek Buijzen. 2013. « Children’s Responses to Advertising in Social Games ». Journal of Advertising, vol. 42, no 2-3, p. 142-154. doi : 10.1080/00913367.2013.774588

Éducation à la marchandisation

41- MoutonsQui devrait éduquer nos enfants à consommer raisonnablement? Les parents, l’école ou les marchands eux-mêmes? Ces derniers ne demandent pas mieux et le font gracieusement.

Une étude a montré à quel point une chaîne d’épiceries fait preuve d’audace et d’intelligence dans la mise en œuvre d’un programme d’éducation à la consommation destiné aux élèves d’écoles secondaires (1). Le détaillant profite de l’attention des adolescents – ressource rare en milieu scolaire – pour promouvoir sa vision du monde.

Dans le premier volet du programme, les élèves apprennent à faire un choix rationnel, par exemple en calculant le prix de revient d’un produit en fonction de la taille de l’emballage. Rapidement, le marchand fait preuve d’audace en suggérant de comparer systématiquement les prix entre les produits et les marques.

Mais, malheureusement, les adolescents ne sont pas toujours sous l’effet de la drogue. Ainsi, au cours de l’étude, un petit malin a demandé s’il devait aller chez un concurrent s’il y trouvait un produit moins cher.

Pour répondre à cette question, le représentant de la chaîne d’épiceries a fait appel à la notion d’expérience de magasinage (ambiance familiale, proximité, etc.). Présentée comme supérieure à ses concurrents, elle justifie l’acte irrationnel de payer plus cher pour un même produit.

N’hésitant pas à pousser l’audace à un niveau conceptuel, le marchand enseigne aussi aux apprentis consommateurs la différence entre un besoin et un désir. Tous les besoins sont naturels, et seuls les désirs sont socialement construits. Ainsi, tout ce qu’on est capable d’étiqueter comme « besoin » mérite d’être comblé. Quant aux désirs, ils méritent réflexion.

Le marchand pousse l’audace un cran plus haut lorsqu’il met en garde les élèves contre les techniques du marketing. Il n’hésite pas à révéler les « secrets » de cette discipline pour créer des « anticorps » chez les adolescents. Il est vrai que le marketing, fils indigne de l’idéologie néolibérale, est un bouc émissaire commode.

Fin pédagogue, l’épicier évite l’ennuyeux et inefficace exposé magistral. Pour initier les élèves à la pensée critique, il leur fait analyser les meilleures publicités.

Cette approche a au moins deux avantages. Premièrement, cela pousse les jeunes à porter plus d’attention aux publicités. Deuxièmement, cela leur laisse croire qu’ils sont en train d’acquérir les habiletés pour démonter les mécanismes de la promotion commerciale et donc y résister.

Mais ce n’est pas tout. Poussant l’audace à son paroxysme, le marchand profite de l’occasion pour initier les élèves à la pensée entrepreneuriale. Il leur fait chercher les besoins non comblés par le marché et leur demande d’imaginer des produits qui pourraient y répondre.

S’ils ne deviennent pas tous des Mark Zuckerberg, au moins auront-ils intégré l’idée que le marché cherche constamment à mieux répondre à leurs besoins. Mieux, ils seront éduqués à la marchandisation, cette idée selon laquelle le marché peut théoriquement répondre à tous les besoins humains.

Dans cette vision du monde, le marché est bienveillant et omnipotent.

Le loup se régale dans la bergerie.

Photo : James Barwell [CC BY-NC-ND 2.0] via flickr

Davidson, Shosh (2015). The nature of empowerment in a consumer education program initiated by a supermarket chain. Journal of Consumer Culture, 15(2), 202-220. doi: 10.1177/1469540513498610

Le matérialisme en héritage

39 - Limousine« Papa? » « Quoi? » « Le monsieur de tantôt, j’aimerais bien que ce soit mon papa. » Je n’ai rien dit, je suis resté stoïque. Quelques minutes plus tard : « Je t’aime quand même, papa. » Ouf!

Cette journée-là, j’étais allé à une vente de garage municipale avec mon jeune fils. Mon but était de l’aider à gérer ses désirs, à avoir un rapport sain avec les objets et l’argent, et à réduire l’importance de la consommation dans sa vie. Rien de moins. Mais je n’avais pas de plan précis, je ne savais même pas si j’allais acheter quelque chose. Je m’étais seulement préparé à me faire harceler.

À un moment donné, alors que mon fils et moi étions en pleine joute argumentative, un homme s’est approché et a demandé à mon fils ce qu’il voulait, et lui a acheté. Bien que mes desseins éducatifs fussent chamboulés, je me suis senti obligé de le remercier poliment.

S’il avait envoyé son 20 $ à Oxfam Québec, il aurait fait manger un enfant pauvre pendant des jours, plutôt que jouer un enfant riche pendant quelques dizaines de minutes. Mais donner un cadeau en mains propres lui a permis de se faire plaisir en voyant la réaction de mon fils, tout en se pensant généreux.

Son geste aurait pu irriter de nombreux parents, dans la mesure où nous évitons généralement d’offrir des cadeaux sans raison à nos enfants. En dehors de Noël et des anniversaires, nous avons tendance à acheter des choses à nos enfants comme récompense pour un comportement approprié ou une réussite.

L’avantage est que l’on ne se sent pas coupable.

L’inconvénient est que cela favorise le développement et le maintien du matérialisme à l’âge adulte (1).

En effet, cela envoie le message suivant : lorsque tu accomplis quelque chose, être satisfait de toi n’est pas suffisant, tu mérites un cadeau. En outre, cela pourrait amener l’enfant à associer le succès avec l’acquisition d’objets, par conditionnement. Pire, il se pourrait que le plaisir de l’approbation des parents éprouvé par l’enfant puisse se transférer à l’acquisition de l’objet.

En bref, récompenser matériellement nos enfants fait augmenter l’importance des objets à leurs yeux. Cela risque même de diminuer leur motivation intrinsèque. Une conséquence fâcheuse est que les enfants matérialistes réussissent moins bien à l’école.

Nous pouvons récompenser nos enfants avec autre chose qu’un objet ou une friandise. Ce peut être une activité spéciale avec eux (pas forcément payante), des félicitations sincères, une belle discussion, etc.

Nos enfants méritent mieux que des tonnes de jouets.

Photo : Damien Hallegatte [CC BY-NC-SA 2.0]

(1) Richins, Marsha L., et Lan Nguyen Chaplin. 2015. « Material Parenting: How the Use of Goods in Parenting Fosters Materialism in the Next Generation ». Journal of Consumer Research, vol. 41, no 6, p. 1333-1357. doi : 10.1086/680087

Mange tes carottes, mon futur prix Nobel

Albert EinsteinLa société de consommation est l’ennemi intime des parents. Il faut faire comprendre à nos enfants que l’on ne peut pas tout acheter, que beaucoup d’objets sur le marché sont inutiles, etc. Il faut leur apprendre à refréner leurs envies, alors que nous-mêmes avons de la difficulté à le faire.

Mais nos interventions bien intentionnées peuvent avoir l’effet contraire de celui escompté. Par exemple, répondre « j’ai pas d’argent pour ça » ou « c’est trop cher » à notre enfant qui nous supplie d’acheter quelque chose envoie le message suivant : si tes parents avaient plus d’argent, tu pourrais acheter ton 42e toutou. Ça développe la frustration du pouvoir d’achat chez l’enfant, condition sine qua non pour devenir un bon consommateur, prêt à s’endetter jusqu’au cou.

En ce qui concerne la nourriture, ce n’est généralement pas une question d’argent. On se fait rarement harceler par nos enfants pour acheter des céréales biologiques au jus de sucre de canne évaporé, du filet mignon ou du caviar. Par contre, la vue d’un rayon de confiseries de 10 mètres a l’effet d’un trip d’acide sur eux.

Mais c’est de notre faute. La prochaine fois que nous voudrons récompenser notre enfant, il faudra lui promettre quelque chose comme : « Range ta chambre et tu auras des brocolis. » Avec un peu de chance, il fera une crise à l’épicerie, au rayon des légumes frais.

De retour à la maison, le bras de fer continue. Pour faire manger de bons légumes à nos enfants, on leur promet un dessert, tout en les informant que c’est bon pour leur santé, que ça les fera grandir, qu’ils seront plus forts, etc. Du poisson avec ça, et tu seras cosmonaute ou prix Nobel.

Mauvaise idée. Une étude récente montre qu’affirmer à des enfants de trois à cinq ans que la nourriture qu’on leur offre est bonne pour leur santé ou facilite leur apprentissage de la lecture ou du calcul a comme résultat qu’ils la trouvent moins bonne et en consomment moins, que ce soit des carottes ou des craquelins Fins au blé (Wheat Thins) (1).

L’intérêt particulier de cette étude est de montrer que la réaction de l’enfant ne provient pas d’un apprentissage direct. L’enfant a pu apprendre par expérience que les aliments que ses parents lui présentent comme bons pour la santé ont un moins bon goût. Mais il est peu probable qu’avant de participer à l’étude, les enfants aient appris que les aliments qui les aident à apprendre à lire et à compter sont moins bons (d’autant plus que ce n’est pas le cas).

En fait, les enfants déduisent que, si la nourriture a des bénéfices extrinsèques (faciliter l’apprentissage), elle doit probablement avoir moins de bénéfices intrinsèques (avoir bon goût). Sans même en avoir la preuve, ils modifient leurs attitudes (diminution de l’évaluation de la qualité gustative de la nourriture) et leur comportement (diminution de la quantité de nourriture réellement consommée), simplement si on les informe que la nourriture a des bénéfices autres que le goût!

Promettre à un enfant qu’il aura du dessert s’il termine son plat principal est pire puisque, dans ce cas, il y a une récompense immédiate qui est offerte. Les enfants en déduisent que si on leur offre une récompense pour un comportement, c’est que celui-ci est déplaisant ou demande un effort. La nourriture doit être mauvaise si on offre une récompense pour la manger.

Ce n’est pas facile de bien faire manger nos enfants, surtout avec toutes les cochonneries que l’industrie agroalimentaire essaie de leur faire avaler, légalement (ce qui ne veut pas dire légitimement) ou illégalement, en violant la loi québécoise d’interdiction de la publicité aux enfants de moins de 13 ans comme McDonald’s, Burger King ou Saputo.

Cette loi est unique en Amérique du Nord, il y a de quoi en être fier.

Mais les compagnies qui s’adressent aux enfants sont comme des enfants. Il faut les chicaner régulièrement.

Photo : Oren Jack Turner [domaine public] via Wikipedia

(1) Maimaran, Michal, et Ayelet Fishbach. 2014. « If It’s Useful and You Know It, Do You Eat? Preschoolers Refrain from Instrumental Food ». Journal of Consumer Research, vol. 41, no 3, p. 642-655. doi : 10.1086/677224

Matérialisme et réussite scolaire

Vroum VroumLes enfants matérialistes réussissent moins bien à l’école (1).

Le matérialisme consiste à croire que l’accumulation de beaux objets est essentielle au bonheur, ainsi qu’à utiliser ces objets pour montrer son succès. Nous sommes donc tous plus ou moins matérialistes.

Or, la littérature scientifique est éloquente : le matérialisme est une tare. Les enfants et adolescents matérialistes sont plus anxieux et plus dépressifs. Ils ont une moins bonne estime d’eux-mêmes et ont souvent des problèmes relationnels. Ils ont plus tendance à se comparer et ressentent plus la pression des pairs. Ils sont même moins enclins à protéger l’environnement.

Le matérialisme se développe dès l’enfance. À partir de 8 ans, faire partie d’un groupe devient une préoccupation majeure. Bombardés de messages commerciaux, les enfants sont pris dans une logique consommateuriste implacable : ils doivent posséder tel ou tel objet pour appartenir au groupe. Et les parents peuvent difficilement résister, puisque le bien-être psychologique de leur enfant en dépend.

Ainsi, la motivation pour l’acquisition d’un objet cool n’est pas d’avoir quelque chose d’utile, ni même de se faire plaisir. Il s’agit d’appartenir au groupe, mais aussi de susciter l’admiration et d’acquérir du pouvoir.

Les enfants matérialistes vont adhérer davantage à cette logique, qu’ils transposent à l’école. Leur préoccupation est moins d’apprendre de nouvelles choses que d’avoir l’air intelligent. Ils sont moins intéressés à développer leurs compétences qu’à démontrer leurs compétences.

Ainsi, quand les enfants matérialistes achètent des objets, leur but est plus extrinsèque (être populaire) qu’intrinsèque (avoir du plaisir). Parallèlement, quand ils vont à l’école, leur but est plus extrinsèque (se valoriser) qu’intrinsèque (apprendre). Étant moins motivés à apprendre, ils obtiennent de moins bons résultats scolaires.

Notons que, si on conçoit l’intelligence comme un don, c’est-à-dire quelque chose de fixe, on va vouloir la montrer. Si on conçoit l’intelligence comme quelque chose de malléable, on va vouloir la développer.

Nos enfants et adolescents vivent dans une société matérialiste où l’éducation permet de se placer dans l’échelle sociale. Cette vision instrumentale de l’éducation est parfaitement en adéquation avec la vision socialement instrumentale de la consommation.

Ne nous étonnons pas; nos enfants nous imitent.

(1) Ku, Lisbeth, Helga Dittmar et Robin Banerjee (2014), « To have or to learn? The effects of materialism on British and Chinese children’s learning, » Journal of Personality and Social Psychology, 106 (5), 803-821. doi: 10.1037/a0036038

Photo : NRMA Motoring and Services [CC BY 2.0] via flickr