Lorsque l’on pratique le marketing, il est toujours tentant de mentir. Mais il est plus subtil de « bullshiter ». Voyons trois exemples fictifs (1).
« Burger King vous en donne plus pour votre argent. »
Cette phrase sous-entend « … que les autres concurrents ». Mais, littéralement, la phrase signifie qu’il existe, dans le monde, au moins un restaurant qui nous en donne moins pour notre argent que Burger King.
« Les femmes d’apparence jeune utilisent Oil of Olay. »
Cette phrase implique un lien de cause à effet, mais ne l’affirme pas. Littéralement, la phrase signifie qu’il existe, dans le monde, au moins deux femmes d’apparence jeune qui utilisent Oil of Olay.
« La Camry offre plus d’espace intérieur que la Honda Accord, plus de puissance que la Mazda 6 et plus d’options de série que la Nissan Altima. »
Dans ce cas, on interprète le message de la manière suivante : la Camry est supérieure aux trois concurrentes citées, sur chacun des trois critères. Mais peut-être que la Honda Accord est la plus petite, la Mazda 6 la moins puissante et la Nissan Altima celle qui offre le moins d’options de série. Dans ce cas, la Camry serait la pire des autos citées.
La beauté de la chose est que de tels slogans ne peuvent être qualifiés de mensongers. C’est de la bullshit.
Or, la bullshit est plus dangereuse pour la société que le mensonge, selon Harry Frankfurt, professeur émérite de philosophie à l’Université de Princeton (2).
En effet, le mensonge a une contrepartie, la vérité, qui le rend facile à mettre en échec. Dans le mensonge, le faux est visible à l’aune du vrai.
Par exemple, un professeur de marketing et ex-secrétaire général de HEC Montréal se présente comme titulaire d’un diplôme de Ph. D. (Philosophiæ Doctor), alors qu’il est titulaire d’un diplôme de D.B.A. (Doctor of Business Administration).
La bullshit, elle, n’a pas de contrepartie. Elle joue sur le sous-entendu, sur le fait que l’on cherche à donner un sens à ce que l’on perçoit, sur le peu d’attention que l’on accorde généralement à la publicité. Pour utiliser des grands mots, la bullshit amorce un schéma cognitif qui induit des inférences pragmatiques. Autrement dit, il est difficile d’en saisir le mécanisme, contrairement au mensonge, qui s’oppose à la vérité.
En marketing, la tentation est grande de « bullshiter », d’énoncer des demi-vérités, voire de mentir carrément. Il est vraiment difficile d’y résister.
(1) D’Astous, Alain, Naoufel Daghfous, Pierre Balloffet et Christèle Boulaire (2010), Comportement du consommateur. Montréal : Chenelière Éducation. ISBN : 9782765025405.
(2) Frankfurt, Harry G. (2005), On Bullshit. Princeton, NJ: Princeton University Press. ISBN : 9781400826537. (Voir aussi la vidéo de l’entrevue!) Frankfurt, Harry G. (2006), De l’art de dire des conneries. Paris: Éditions 10/18. ISBN : 2264043326.
Note : Le terme connerie ne rendant pas pleinement justice au concept de bullshit, j’ai choisi, par facilité, d’utiliser un anglicisme. Pour une fois que les Français s’abstenaient d’utiliser un anglicisme!