L’utilisation de son revenu discrétionnaire engendre souvent des dilemmes. Par exemple, changer de voiture ou partir en voyage? Pour que l’argent fasse le bonheur, il faut partir en voyage. La psychologie sociale nous enseigne en effet qu’il vaut mieux payer pour des services que pour des produits.
La raison principale est que l’expérience subjective du voyage est incomparable avec celle de mon voisin (1). Peut-être est-il allé plus loin, plus longtemps, dans des plus beaux hôtels. Mais l’essentiel du voyage se situe dans les découvertes, les péripéties, les personnes rencontrées, les expériences vécues. Et cela n’est pas proportionnel à la dépense.
En revanche, lorsque mon voisin gonflable aura acheté sa prochaine voiture dans quelques mois, la mienne paraîtra moins belle. La comparaison sera brutale, sans échappatoire.
Mieux : il y a de fortes chances que mon voyage s’embellisse dans ma mémoire. On se rappelle des meilleurs moments, et les problèmes vécus deviennent souvent des histoires à raconter.
De son côté, ma nouvelle voiture dépérira inéluctablement. Très rapidement, elle ne sera plus nouvelle. Et quand l’euphorie des débuts se dissipe, les défauts deviennent apparents… En outre, son usage a peu de chances de produire des histoires intéressantes. Pour cela, au contraire, mieux vaut un bazou!
Par ailleurs, lorsque que j’achète un service, il y a moins de risques que je rumine relativement aux options non choisies. Si j’apprends, après coup, qu’il y avait un meilleur restaurant au même prix, cela me décevra moins que si j’apprends qu’il y avait un meilleur gadget électronique au même prix.
Ajoutons que, pendant l’expérience du restaurant, si la nourriture est décevante, on peut se concentrer sur des objectifs supérieurs, comme avoir une belle conversation, et on pourra rire de l’expérience ensuite. Mais si j’ai fait un mauvais choix dans l’acquisition d’un produit, il sera toujours là pour me le rappeler. Y’a pas de quoi rigoler.
Une autre caractéristique de l’achat de produit rend la chose peu propice au bonheur : on a tendance à rechercher le meilleur produit, alors que l’on recherche habituellement un service simplement satisfaisant. Or, rechercher le meilleur produit augmente l’implication psychologique du consommateur dans la prise de décision, et donc le risque d’inconfort (doute, regret…). Clairement ici, le mieux est l’ennemi du bien.
Finalement, j’échangerais bien ma voiture contre celle de l’un de mes voisins. En revanche, je ne pourrais pas – et je ne voudrais pas – échanger mon expérience contre celle de mon voisin. J’y suis attaché, ça fait partie de moi. Au même titre qu’on n’échangerait pas son enfant accro aux jeux vidéo et médiocre à l’école contre le violoniste et premier de classe du voisin.
Le plaisir issu de l’expérience du voyage est intrinsèque, alors que le plaisir issu de la possession d’une automobile est comparatif.
Les objets divisent les gens. Les expériences rapprochent les gens.
(1) Carter, Travis J. et Thomas Gilovich (2010), « The Relative Relativity of Material and Experiential Purchases, » Journal of Personality & Social Psychology, 98 (1), 146-59. doi: 10.1037/a0017145
Photo : Mark Nye [CC BY-NC-ND 2.0] via flickr