Mon épicier et moi

Cadeau profLes entreprises commerciales sont tellement bienveillantes qu’elles collectent des renseignements dans le but de mieux nous servir. En fait, elles nous prennent pour des imbéciles. Il est évident que c’est pour nous vendre davantage de choses.

Mais il y a autre chose, beaucoup moins évident à déceler. Ces big data leur permettent aussi de façonner notre vie sociale.

Examinons l’exemple de la carte de fidélité Clubcard de Tesco, premier détaillant britannique. Dans un billet précédent, j’avais montré comment ce système exploite notre insécurité de consommateur. Dans le présent billet, c’est un mécanisme social, et non un état psychologique, qui est exploité.

Notons que l’information suivante a été publiée par la compagnie elle-même, sur son site Internet, en 2009, et retirée ensuite (1).

Le détaillant a constaté une augmentation de la vente de fleurs et de vin au début de l’été. Cela ne correspondait ni à la fête des Mères, ni a la fête des Pères, ni à aucune autre fête commerciale. Mais, grâce aux données recueillies sur les utilisateurs de la carte Clubcard, Tesco a pu savoir que cette augmentation provenait de familles avec des enfants d’âge scolaire. De là, il a pu être déduit qu’il s’agissait de cadeaux de fin d’année pour les enseignants du primaire et du secondaire.

Après avoir révélé les faits, le détaillant expose ses motivations bienveillantes. Ces renseignements lui ont permis de prévoir l’augmentation de la demande les années suivantes, et donc de s’assurer de combler parfaitement les besoins de ses clients.

Merci Tesco! Grâce à une ingénieuse application de la technologie du 21e siècle, le risque de rupture de stock de fleurs et de vin en début d’été a été éradiqué. Les enseignants sont certains d’avoir leur cadeau, et les parents ne risquent plus de devoir aller dans un autre magasin que Tesco. Que d’angoisse évitée. Vive le progrès!

Ajoutons un élément, dont la compagnie ne se vante pas. Les cadeaux potentiels pour des enseignants bénéficient certainement de promotion ciblée, à chaque fin d’année scolaire.

Ainsi, le grincheux ne voit pas les choses de la même manière que l’épicier. En mettant de l’avant certains produits à un moment précis de l’année, et en les associant à un comportement social naissant, le marchand érige en norme un comportement qui aurait pu rester marginal ou disparaître. Dit autrement, l’épicier façonne le comportement de consommation de la société.

Par un mécanisme similaire, une fête aussi socialement insignifiante que la Saint-Valentin comprend désormais son lot d’obligations sociales, c’est-à-dire d’obligations d’achat.

Mais bon, une telle technique est très discrète (à condition que l’épicier n’ait pas la maladresse de faire des aveux sur son site Internet). Il aurait donc tort de s’en priver.

La question qui tue, pour finir : avoir conscience du pouvoir social de l’épicier change-t-il quelque chose?

(1) Beckett, Antony (2012), « Governing the consumer: technologies of consumption, » Consumption, Markets & Culture, 15 (1), 1-18. doi: 10.1080/10253866.2011.604495

Photo : Onno Bruins [CC BY-NC-SA 2.0] via flickr

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