Greenpeace, championne du marketing

34 - PétroleGreenpeace est une organisation très efficace. Par exemple, elle a réussi à faire annuler le projet de Shell de faire couler la plateforme de stockage de pétrole Brent Spar. C’était en 1995, au large de la Grande-Bretagne. En outre, l’organisation écologiste a fait avancer l’idée du pollueur-payeur, ce qui était loin d’être évident à l’époque.

Il serait naïf de penser que Greenpeace a gagné principalement parce qu’elle avait raison sur le fond. La victoire doit beaucoup à l’application rigoureuse de techniques de marketing. Parmi celles-ci se trouve la diffusion d’un discours bien huilé (1).

Par exemple, l’utilisation de métaphores comme « bombe à retardement » ou « cocktail toxique » a fait mouche. Mais c’est peut-être l’image suivante qui a le plus marqué les esprits : celle du passant qui jette ses détritus sur le sol. Cela sous-entend que Shell a planifié le coulage d’une plateforme de stockage de pétrole de 14 500 tonnes avec la nonchalance de celui qui laisse tomber un papier par terre. Par cette litote, non seulement le projet de Shell est diabolisé, mais la compagnie se trouve ridiculisée.

Au-delà de la stricte rhétorique, une telle image a introduit un aspect moral dans le débat. En effet, pourquoi la compagnie pétrolière aurait le droit de faire ce qui est proscrit au citoyen ordinaire? Sa puissance économique lui donnerait le droit de prendre l’océan pour une poubelle? Par cette image bien choisie, Greenpeace a transformé Shell en profiteur arrogant, voire en délinquant.

Outre un discours finement ciselé, Greenpeace a créé des images percutantes en prenant d’assaut la plateforme. L’opération a été abondamment diffusée par les médias du monde entier. Il s’agit d’un magistral cas de relation publique qu’il faudrait étudier dans tous les programmes de MBA.

Clairement, Greenpeace a terrassé Shell sur le registre de l’émotion, grâce à son discours et à ses images. Mais ce n’était pas très fair play. En effet, le concept d’émotion était totalement inconnu à la pétrolière.

Par contre, il est admirable que Greenpeace ait réussi à ébranler Shell sur son propre terrain, celui des arguments scientifiques et techniques. L’organisation écologiste a critiqué de front « des hypothèses sans fondement, des données insuffisantes et des extrapolations à partir d’études non citées ». Mais c’est un langage imagé, accessible au plus grand nombre, qui a été utilisé. De son côté, Shell était empêtrée dans un langage scientifique et bureaucratique.

Finalement, Greenpeace a gagné parce qu’elle a transformé une dispute strictement technique en débat éminemment politique. Son adversaire voulait contenir la discussion autour de l’analyse des risques. L’organisation écologiste l’a formulé de la manière suivante : « Est-ce que nous voulons que nos océans soient utilisés comme cela? »

Greenpeace agace parce qu’elle politise l’économie. Or, les tenants du libéralisme économique s’attachent à faire croire aux masses que le marché et la consommation, c’est apolitique.

En fin de compte, Greenpeace est une organisation dangereuse. Avec son marketing efficace, elle constitue une menace au développement économique. Tout comme les intellectuels de ce monde.

Photo : Ricardo Mendonça Ferreira [CC BY-NC-SA 2.0] via flickr

(1) Livesey, Sharon M. 2001. « Eco-Identity as Discursive Struggle: Royal Dutch/Shell, Brent Spar, and Nigeria ». Journal of Business Communication, vol. 38, no 1, p. 58-91. doi: 10.1177/002194360103800105

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