Mais pourquoi continuons-nous d’acheter des gros VUS et du café inéquitable? Il y a quelques décennies, ce pouvait être par ignorance. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Nous savons pertinemment que ces produits sont dommageables pour l’environnement et pour les humains.
Mais une telle prise de conscience a peu de poids, puisque la consommation est une activité égoïste par excellence. Mieux, c’est une activité amorale – et non immorale – parce qu’elle est étrangère à la morale (plutôt que contraire à la morale). La consommation n’enfreint pas la morale, elle l’ignore.
La consommation est en outre une activité compétitive, une compétition de statut, et non de vertu, entre consommateurs. Or, dans une compétition, il y a des gagnants et des perdants. Si le perdant apparent est mon voisin qui a une moins belle voiture que moi, le grand perdant est l’ouvrier bangladais.
Or, il se pourrait que nous continuions de consommer comme des abrutis non pas en dépit, mais en raison de ses effets négatifs. La consommation est le lieu idéal d’assouvissement de nos pulsions narcissiques et destructrices.
Cependant, beaucoup de gens expriment une sympathie envers les autres humains et l’environnement. Personne n’est contre la vertu. Mais peu modifient suffisamment leurs habitudes de consommation pour éviter que l’humanité fonce dans un mur. Dit autrement, beaucoup de gens auraient envie de bien faire, mais ils n’y arrivent pas.
Il y a bien entendu une série d’explications structurelles. Il est difficile, par exemple, de trouver des vêtements produits dans des conditions acceptables, à un prix acceptable. Il semblerait que le libre marché ne réponde pas parfaitement à tous nos besoins.
Cette incohérence entre ce que les gens déclarent qu’ils voudraient faire et ce qu’ils font peut aussi s’expliquer par une notion peu connue de la psychanalyse : la culpabilité inconsciente. Celle-ci serait la cause, plutôt que la conséquence, de comportements immoraux (1).
En effet, le conflit permanent entre les pulsions de l’individu et les normes de la société ferait naître chez tout un chacun une culpabilité inconsciente permanente. Celle-ci crée de l’anxiété et pousse les individus à se comporter occasionnellement de manière immorale pour rendre intelligible un malaise qui serait sinon insaisissable.
Par exemple, acheter un gros VUS a la fonction instrumentale suivante : ma culpabilité diffuse trouve enfin un objet auquel s’attacher. Au moins, je sais pourquoi je me sens coupable. Je ne suis pas débile.
Mieux, je peux attribuer ma culpabilité latente aux écolos moralisateurs, à ces gauchistes échevelés qui sont contre la croissance économique.
Il ne me reste plus qu’à laver mon VUS avec un nettoyant à carrosserie biodégradable, et je me retrouve dans un confort intellectuel qui m’évite de remettre en question mon mode de vie.
Photo : M 93 : « Dein Nordrhein-Westfalen » [CC BY 2.0] via flickr
(1) Chatzidakis, A. (2015). Guilt and ethical choice in consumption: A psychoanalytic perspective. Marketing Theory, 15(1), 79-93. doi: 10.1177/1470593114558533