« Meilleur avant » : une information qui nous veut du bien?

Meilleur avantDonner plus de pouvoir au consommateur est une des idées centrales du consumérisme. Pour ce faire, nous avons notamment droit à une information fiable et complète sur les produits, ce qui nous donne l’impression de prendre de bonnes décisions.

Par exemple, la mention « meilleur avant » est fort utile, au point de nous apparaître indispensable. Or, elle est peut-être moins bienveillante qu’elle n’y paraît. Son existence serait liberticide, débilitante et, finalement, réductrice en termes de choix (1).

Tout d’abord, cette mention systématique nous rappelle que notre responsabilité première est de faire de bons choix de consommation. Le droit à de l’information vient avec l’obligation de bien l’utiliser. Ainsi, quiconque se rendrait malade pour ne pas avoir obéi à l’injonction serait coupable d’avoir consommé de la nourriture considérée comme non comestible par sa société. La volonté de ne pas gaspiller ou de soulager le budget familial ne fait pas le poids face à l’impératif de maintenance de son corps.

Ensuite, cette mention est débilitante. Auparavant, nous avions la capacité de juger du caractère comestible d’un aliment en nous fiant à nos sens : en le regardant, le sentant, le touchant, le goûtant. Aujourd’hui, on se fie à des experts : les microbiologistes. Une conséquence fâcheuse est que nous avons perdu des habiletés et de l’autonomie. De leur côté, les détaillants ont été dépouillés de leur prérogative d’évaluer la fraîcheur des aliments. Ils ont perdu la légitimité de le faire, et de ce fait aussi leur compétence. D’ailleurs, les employés d’épicerie sont obligés de jeter les produits ayant atteint la date limite de consommation. Il s’agit de maintenir la légitimité du système.

Finalement, cette mention réduit notre choix. Pour des raisons de perceptions des consommateurs et donc d’image, beaucoup de détaillants rechignent à laisser sur leurs tablettes les produits ayant atteint la date fatidique. Nous perdons donc la possibilité d’acheter ces produits à prix réduit. Et paf! La sacro-sainte liberté de choix du consumérisme se voit réduite par la dictature d’un de ses rejetons, la mention « meilleur avant ».

Sur le principe, tenter d’évaluer la durée de vie moyenne des produits alimentaires est utile. Le problème est que les durées de vie annoncées sont systématiquement plus courtes que la réalité, pour tenir compte d’éventuelles conditions de stockage non optimales. Pire, des décisions de réduction de durée de vie des produits peuvent être purement marketing, afin de demeurer cohérentes avec les perceptions des consommateurs.

Les intérêts de l’industrie agroalimentaire dans l’application systématique de la mention « meilleur avant » sont multiples. Celle-ci permet de réduire artificiellement la durée de vie potentielle des produits et donc de faire augmenter la consommation. La demande est davantage prévisible, ce qui facilite la gestion de la production et des stocks. En outre, si elle incite au gaspillage, elle a l’énorme avantage de mettre la responsabilité sur les détaillants et le consommateur.

Ainsi, cette mention, qui apparaît comme une information qui nous veut du bien, peut être vue comme un outil de contrôle de la société de consommation. Cette expression anodine est d’autant plus efficace que les intérêts des instances réglementaires et du monde marchand s’alignent sur les préoccupations des consommateurs. Contrairement aux programmes de fidélité, qui sont des dispositifs grossiers et évidents pour nous contrôler, la mention « meilleur avant » réduit notre liberté de manière subtile et indolore.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette formulation a remplacé les précédentes comme « consommer (de préférence) avant » ou « date limite de consommation ». Le consumérisme néo-libéral est plus subtile que la dictature, et donc beaucoup plus efficace pour contrôler la population.

(1) Yngfalk, C. (2016). Bio-politicizing consumption: neo-liberal consumerism and disembodiment in the food marketplace. Consumption Markets & Culture, 19(3), 275-295. doi: 10.1080/10253866.2015.1102725

Photo : Anna Fuster [CC BY-NC-ND 2.0] via flickr

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