Le fantasme de la consommation responsable

MainPourquoi est-il si difficile de consommer de manière responsable? Parce que nous faisons la plupart de nos achats sur le pilote automatique? Ou bien, dans le fond, nous n’avons pas vraiment l’intention de consommer de manière responsable? Difficile de trancher. Mais, quelles que soient les raisons étudiées, la grande majorité des recherches sur le sujet en arrivent à proposer le même type de solution : sensibiliser, conscientiser, éduquer le consommateur.

L’idée même de consommation responsable, où les consommateurs sont en même temps la source et la solution principale des problèmes, est l’aboutissement logique de l’idéologie capitaliste libérale, habilement promue par le slogan Acheter, c’est voter. Dans cette vision des choses, les entreprises commerciales n’attendent que les demandes des consommateurs souverains pour se comporter de manière totalement responsable.

Persuadés d’être libres, nous croyons à cette rhétorique. Libres, donc responsables. Face aux désastres de la surconsommation, nous avons développé toute une série de stratégies pour profiter des délices de la société de consommation sans nous sentir trop coupables : déni, cynisme, narcissisme, mégalomanie, etc.

Tant et aussi longtemps que nous nous pensons libres et responsables, nous ne remettons pas en cause le système capitaliste libéral. Si les produits éthiques sont si peu accessibles ou trop chers, c’est parce que nous, vilains consommateurs égoïstes, nous n’en achetons pas assez. Si tout le monde s’y mettait, on trouverait des grille-pain équitables chez Walmart. Alors on croit que la consommation responsable, c’est possible.

Foutaises. Le système économique capitaliste libéral n’est pas conçu pour favoriser l’achat responsable, mais pour transformer l’égoïsme en altruisme. Depuis au moins Adam Smith, l’idée géniale de l’économie classique est que le marché transforme les intérêts égoïstes en bien-être collectif. La fameuse main invisible, celle qui ne donne jamais de fessée. Dans le monde magique du marché, acheter n’importe quoi, c’est bon pour l’économie. Pour participer au bien-être collectif, rien de plus simple : il suffit de rechercher le meilleur produit pour se faire plaisir, se valoriser, s’exprimer, montrer sa réussite, son bon goût, etc.

D’ailleurs, si tout le monde avait des motivations et un comportement altruiste, responsable ou éthique tout le temps, on n’aurait pas besoin de marché. On se prêterait des objets, on partagerait, on s’entraiderait, etc. L’argent serait un médium inutile.

Alors pourquoi ne consommons-nous pas de manière plus responsable? La vie sociale est régie par le principe de respect des êtres vivants et des choses, la coopération, la mise en veilleuse de nos pulsions égoïstes, etc. En revanche, dans la vie économique, les principes de la consommation sont l’hédonisme, l’auto-affirmation, la liberté, etc. Or, les intentions d’achat (responsable) se forment dans notre vie sociale, hors du marché. Mais lorsque l’on est sur le point de faire un achat, les considérations éthiques deviennent secondaires face aux considérations de qualité, de prix, de plaisir, de position sociale, de construction identitaire, etc. Les principes moraux qui guident nos actions dans la vie sociale ne sont pas les mêmes que dans la vie économique.

Cette contradiction fondamentale laisse penser que l’espoir de rendre les consommateurs responsables est un fantasme, un objet de réflexion et de recherche fétiche qui permet d’être dans le déni de l’insupportable réalité (1) : ce ne sont pas les acteurs du système (les consommateurs) qui sont responsables des désastres de la société de consommation, mais le système lui-même (le capitalisme libéral). Le problème n’est pas psychologique, il est systémique. Mais croire le contraire est moins dérangeant.

Malheureusement, savoir qu’un fantasme est un fantasme ne diminue en rien son pouvoir. Freud lui-même le reconnaissait.

(1) Carrington, M. J., Zwick, D., et Neville, B. (2016). The ideology of the ethical consumption gap. Marketing Theory, 16(1), 21-38. doi : 10.1177/1470593115595674

Photo : spazbot29 [CC BY-SA 2.0] via flickr

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