Nous sommes tous néolibéraux

CourseNon contents de travailler de plus en plus d’heures pour gagner notre vie, voilà que nous travaillons sur nous-mêmes. Nous n’avons plus le choix. Il est devenu impératif d’utiliser notre temps discrétionnaire de manière productive, d’avoir une vie active et bien remplie. Et, surtout, restons positifs! Les difficultés de la vie doivent être vues comme des occasions d’apprendre. Il ne faut pas nous questionner sur les raisons de nos problèmes, mais sur notre capacité à y faire face.

Sous le régime néolibéral, nous sommes devenus le sujet de nous-mêmes, sur lequel nous concentrons nos efforts. Une des conséquences les plus amusantes de cette idéologie est que nous en arrivons à être en compétition avec nous-mêmes (1). Il devient moins important de dépasser les autres, un but politiquement incorrect et ultimement vain, que de se dépasser.

Dans cette logique, notre désir de changement est tourné vers nous-mêmes, plutôt que vers la société. La critique sociale est remplacée par la critique de soi-même. L’objectif est de s’améliorer, pas d’améliorer la société. L’engagement envers soi-même remplace l’engagement sociopolitique. Nul besoin de changer le monde, il suffit de changer sa perception.

Certes, nous ne sommes pas des robots, les difficultés existent. Cependant, nous avons tendance à les situer majoritairement dans le passé. Nous croyons toujours que tout ira de mieux en mieux. Les problèmes d’hier permettent de croire au progrès, mais surtout d’avoir confiance dans notre résilience.

Une des conséquences de ce centrage sur soi est que nous avons moins d’empathie pour la souffrance des autres. Nous avons déjà tellement à faire pour nous-mêmes. Puisque nous avons réussi à surmonter nos difficultés, que les autres fassent de même.

En poussant la logique jusqu’au bout, la notion même d’inégalité sociale devient caduque. Dans l’étude citée précédemment (1), les participantes insistent sur le fait qu’elles n’ont jamais elles-mêmes été victimes de discrimination de genre dans leur carrière. Et elles en concluent qu’il ne s’agit pas d’un enjeu de société.

En outre, dans notre cerveau néolibéral, la colère et l’indignation sont remplacées par des doutes sur nous-mêmes et par de l’anxiété. Nous ne remettons en cause que mollement nos conditions de travail précaires ou l’inégalité de répartition des richesses dont nous sommes pourtant victimes. Bientôt, nous verrons notre anxiété comme étant normale, voire productive. Un moteur de croissance personnelle, sans doute.

Par ailleurs, nous sommes invités à considérer l’épuisement professionnel principalement comme une faute personnelle, endémique peut-être, mais pas systémique. Nous n’avons que nous-mêmes à blâmer. Mais heureusement, il s’agit d’une formidable occasion d’apprendre et de grandir. Question de perception…

Nous avons profondément internalisé cette logique néolibérale du gouvernement de soi. Clairement, nous faisons tout notre possible pour nous améliorer et ainsi nous adapter au système. Et non l’inverse.

Nous sommes tous néolibéraux.

Photo : Hamza Butt [CC BY 2.0] via flickr

(1) Scharff, Christina. 2015. « The Psychic Life of Neoliberalism: Mapping the Contours of Entrepreneurial Subjectivity ». Theory, Culture & Society, vol. 33, no 6, p. 107-122. doi : 10.1177/0263276415590164

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