Piégés par les marques

Murale AdidasLa publicité traditionnelle possède au moins la vertu de ne tromper personne sur ses intentions. Les marques de commerce, en revanche, nous trompent sur toute la ligne. Elles se présentent comme des entités bienveillantes qui nous accompagnent au quotidien et qui nous rendent plus performants, plus séduisants, etc. Mais, en réalité, la marque de commerce est devenue un parasite social qui a réussi le tour de force de se fondre dans la culture.

Par exemple, dans le répertoire du groupe de rock Korn, ainsi que du chanteur de hip hop Killer Mike, se trouve une chanson intitulée A.D.I.D.A.S., acronyme pour All Day I Dream About Sex. Ce qui apparaît de prime abord comme un acte de subversion constitue plutôt une franche victoire pour la marque de vêtements de sport, qui se voit ainsi intronisée dans la culture populaire.

Les grandes marques ont réussi à s’insérer dans notre conscient collectif parce qu’elles sont chargées de significations implicites séduisantes. Par exemple, Nike encapsule le dépassement de soi. Coca-Cola, la joie de vivre. Harley Davidson, la liberté farouche. Apple, la libération par la technologie. Ces marques de commerce sont des référents bien plus commodes que Nietzsche, Spinoza, Sartre ou Descartes parce que simples et largement partagés.

Mieux, dans nos sociétés de consommation, les marques remplacent les philosophes. Si c’est Descartes qui a peut-être le mieux saisi l’esprit français avec la formule Je pense donc je suis, et Shakespeare l’esprit britannique avec To be or not to be, c’est Nike qui a saisi l’essence de la culture états-unienne avec Just do it.

Piégés depuis l’enfance

Cette pollution intellectuelle commence à faire effet dès le plus jeune âge, dès lors que l’on naît dans une société de consommation. Non seulement les enfants reproduisent les discours, idées ou valeurs véhiculés par les marques, mais ils se les approprient, les modifient, les tournent en dérision et les intègrent à leur culture enfantine. Les marques leur permettent de créer des liens, de façonner leur identité, d’être acceptés par les autres et de s’amuser (1).

Bref, les marques constituent une ressource culturelle pour nos enfants.

Par conséquent, celles-ci constituent des vecteurs d’inclusion ou d’exclusion parmi les groupes d’amis. Ce peut être par la possession de telle ou telle marque de vêtements, mais aussi par la simple connaissance de leurs caractéristiques, de leur univers, de leur positionnement, de leurs propositions. En fait, maîtriser le langage des marques cool apparaît aussi important, sinon plus, que leur possession pour être « populaire » dès l’école primaire.

Au-delà d’être un moyen de se positionner socialement, les marques constituent un référent culturel à part entière. Par exemple, dans l’étude citée en référence, un enfant a dit à un camarade qui venait de rater un but facile lors d’une partie de soccer : « Hé! Va t’acheter des lunettes! Va chez Afflelou [opticien français], tu auras deux paires pour le prix d’une. » L’appropriation culturelle est particulièrement évidente dans le cas des parodies de discours de marque, comme « L’Oréol, parce que tu ne vaux rien. »

Critiquer n’est pas se libérer

Cependant, s’approprier, modifier, parodier ou jouer avec les discours et les codes des marques n’équivaut pas à s’en émanciper. Parodier n’est pas subvertir. Décoder n’est pas critiquer. Et critiquer n’équivaut pas à se libérer.

En fait, contrairement aux apparences, un tel travail intellectuel crée et renforce la culture commerciale. En manipulant le discours des marques, on s’empêtre dans sa logique, on magnifie l’importance des choses matérielles et on entérine leur statut de véhicule sémiotique.

Alors, que faire, comme parents, pour dépolluer le cerveau de nos enfants des discours commerciaux? Limiter leur accès au monde commercial? Non seulement cela est bien difficile, mais, si nous y parvenons, le risque d’exclusion sociale de nos enfants s’accroît.

Nous sommes autant piégés que nos enfants, parce que la force de frappe du monde commercial est disproportionnée par rapport aux institutions bienveillantes comme l’école ou les médias traditionnels. Une des conséquences est que nous connaissons davantage de noms de marques (et leurs caractéristiques) que de noms de plantes.

(1) Hémar-Nicolas, Valérie, et Angélique Rodhain. 2017. « Brands as cultural resources in children’s peer culture ». Consumption Markets & Culture, vol. 20, no 3, p. 193-214. doi : 10.1080/10253866.2016.1205494

Photo : jondoeforty1 [CC BY 2.0] via flickr

2 réflexions sur “Piégés par les marques

  1. Oui, absolument ! Les marques colonisent notre esprit… Je me rappelle bien d’avoir lu un livre sur le consumérisme aux États-Unis. Les enfants de 8-10 ans sont capables d’identifier une centaine de logos, mais ils sont capables d’identifier à peine une douzaine d’espèces de plantes.

  2. Pour compléter votre article : les marques sont une chose, leur slogan parfois pire !
    Plasticienne engagée, j’ai réalisé une série de dessins intitulée « Pouvoir d’achat ». Absurdité et cynisme des mots utilisés pour l’étiquetage des barquettes de viandes. S’il fallait encore un argument. Cette série de dessins aux crayons de couleur reprend mot pour mot les étiquettes des communicants de l’agroalimentaire. Affligeant comment les slogans font avaler n’importe quoi …

    A découvrir : https://1011-art.blogspot.fr/p/dessein.html

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