Le pouvoir du vendeur de Louis Vuitton

Quand je suis allée chez Louis Vuitton […], les vendeuses était tellement [froides]. Je ne pouvais pas le croire. J’étais habillée normalement […] et, quand je suis entrée, elles ont arrêté de parler et me dévisageaient.
(Extrait de conversation d’un forum de discussion)

Prada MarfaIl est probablement arrivé à tout le monde de se faire regarder de haut par des vendeurs dans un magasin. Il semble d’ailleurs que jauger rapidement les clients soit pratique courante dans certaines boutiques de vêtements haut de gamme. Par exemple, un ancien employé chez Yves Saint Laurent a avoué que, « si les accessoires (montre et chaussures) ne sont pas coûteux, le client ne mérite même pas un simple bonjour » (1).

Mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, une telle expérience de magasinage est susceptible d’augmenter l’attrait de la marque représentée par le vendeur désagréable (2). En effet, dans notre société de consommation, nous avons tous plus ou moins envie d’acquérir des objets de marques de luxe. Cela donne l’impression d’appartenir à une classe privilégiée de la société. Comme ce désir peut être profond, se sentir rejeté par un groupe auquel on souhaite appartenir est susceptible de faire augmenter son attrait.

Il apparaît donc que, encore après l’adolescence, le besoin d’appartenir à des groupes hot reste présent, même s’il faut souffrir pour cela. Si ce besoin n’est pas comblé au travail ou dans d’autres activités sociales, les produits de consommation peuvent faire office de succédanés.

Bien entendu, il faut que la marque représente quelque chose de hautement valorisé pour que le rejet augmente l’attractivité de la marque. Un vendeur méprisant d’une boutique Gap n’obtiendra pas le même résultat. De plus, l’effet est éphémère et risque de devenir négatif. Il n’est donc suggéré à aucun vendeur d’essayer la technique.

D’un point de vue pragmatique, il est pertinent qu’un vendeur mette moins d’effort sur un client qui paraît moins intéressant. C’est la logique économique. Mais, n’en déplaise aux économistes, les vendeurs sont des humains, même lorsqu’ils travaillent. Comme leur travail est parfois difficile, ce n’est pas étonnant qu’ils se vengent à l’occasion. Dans un restaurant, ils crachent dans la nourriture; dans un magasin de vêtements haut de gamme, ils prennent un air condescendant, voire méprisant.

Un des grands mensonges de la société de consommation est de faire croire au client qu’il est le roi. En réalité, les vendeurs ont du pouvoir et ils l’utilisent.

(1) Wilson, Eric (2009). “Economy Adjusts Store Relations on Madison Avenue,” New York Times, www.nytimes.com/2009/02/18/style/18iht-18shopping.20274101.html

(2) Ward, Morgan K., et Darren W. Dahl (2014). “Should the Devil Sell Prada? Retail Rejection Increases Aspiring Consumers’ Desire for the Brand.” Journal of Consumer Research, vol. 41, no 3, p. 590-609. doi : 10.1086/676980

Photo : Marshall Astor [CC BY-SA 4.0] via flickr

Désirer ou posséder?

PiscineLes matérialistes pensent qu’acquérir des objets les rend heureux. Eh bien, ils n’ont pas tout à fait tort! En effet, ils ressentent des émotions positives avant l’achat, en pensant à l’objet convoité (1). Mais celles-ci déclinent rapidement ensuite. Ils doivent donc se remettre rapidement à la recherche d’autre chose à acheter.

De plus, les matérialistes ressentent des peurs et des inquiétudes relatives à leurs achats, plus que les autres. Cela n’est pas étonnant, sachant que les objets occupent une place importante dans leur vie, par définition. Aussi, ils sont davantage susceptibles d’être insatisfaits des produits qu’ils achètent, puisque leurs attentes sont élevées. En fait, ils s’attendent que l’achat d’objets transforme leur vie.

Une autre chose est bien dommage pour les matérialistes. Les émotions négatives qu’ils ressentent persistent après l’achat, contrairement aux émotions positives.

Mais, plus fondamentalement, peut-être que désirer un objet est plus gratifiant en soi que le posséder. Savourer quelque chose par anticipation procure un réel plaisir, et le vivre réellement peut être décevant. Tant que ça reste dans notre cerveau, on a le loisir de s’imaginer ce que l’on veut.

Gandhi avait compris cela, lui qui partageait son lit avec des jeunes femmes sans avoir de relations sexuelles, pour démontrer sa résistance. Peut-être tentait-il de sublimer son désir sexuel dans la spiritualité. Bravo.

Nous, simples consommateurs ordinaires, pourrions tenter de vivre nos désirs sans les refouler, mais sans passer à l’acte. Par exemple, on peut prendre des articles dans un magasin, s’imaginer quelques minutes qu’ils sont à nous et les reposer ensuite.

Plus simplement, il suffit de magasiner en ligne, de choisir plein d’articles et de faire tout le processus d’achat, jusqu’à entrer son numéro de carte de crédit (en faisant une erreur volontaire).

Si ça ne marche pas, voici une autre idée : acheter effectivement un produit, ne pas le déballer rendu à la maison, le regarder du coin de l’œil pendant plusieurs jours, le narguer (« Tu penses que j’ai vraiment besoin de toi? ») et finalement le rapporter au magasin. Dans la consommation, le coït interrompu, ça ne compte pas.

À vrai dire, la solution ultime à tous nos problèmes de consommation, c’est la consommation imaginaire. On peut, par exemple, conduire des voitures de luxe, se baigner dans une immense piscine creusée, faire un tour de yacht, et ce, dans son cerveau. Mais ça, c’est comme l’homéopathie : ça marche si on y croit.

(1) Richins, Marsha L. 2013. « When Wanting Is Better than Having: Materialism, Transformation Expectations, and Product-Evoked Emotions in the Purchase Process ». Journal of Consumer Research, vol. 40, no 1, p. 1-18. doi : 10.1086/669256

Photo : Doug [CC BY-NC-ND] via flickr

Mange tes carottes, mon futur prix Nobel

Albert EinsteinLa société de consommation est l’ennemi intime des parents. Il faut faire comprendre à nos enfants que l’on ne peut pas tout acheter, que beaucoup d’objets sur le marché sont inutiles, etc. Il faut leur apprendre à refréner leurs envies, alors que nous-mêmes avons de la difficulté à le faire.

Mais nos interventions bien intentionnées peuvent avoir l’effet contraire de celui escompté. Par exemple, répondre « j’ai pas d’argent pour ça » ou « c’est trop cher » à notre enfant qui nous supplie d’acheter quelque chose envoie le message suivant : si tes parents avaient plus d’argent, tu pourrais acheter ton 42e toutou. Ça développe la frustration du pouvoir d’achat chez l’enfant, condition sine qua non pour devenir un bon consommateur, prêt à s’endetter jusqu’au cou.

En ce qui concerne la nourriture, ce n’est généralement pas une question d’argent. On se fait rarement harceler par nos enfants pour acheter des céréales biologiques au jus de sucre de canne évaporé, du filet mignon ou du caviar. Par contre, la vue d’un rayon de confiseries de 10 mètres a l’effet d’un trip d’acide sur eux.

Mais c’est de notre faute. La prochaine fois que nous voudrons récompenser notre enfant, il faudra lui promettre quelque chose comme : « Range ta chambre et tu auras des brocolis. » Avec un peu de chance, il fera une crise à l’épicerie, au rayon des légumes frais.

De retour à la maison, le bras de fer continue. Pour faire manger de bons légumes à nos enfants, on leur promet un dessert, tout en les informant que c’est bon pour leur santé, que ça les fera grandir, qu’ils seront plus forts, etc. Du poisson avec ça, et tu seras cosmonaute ou prix Nobel.

Mauvaise idée. Une étude récente montre qu’affirmer à des enfants de trois à cinq ans que la nourriture qu’on leur offre est bonne pour leur santé ou facilite leur apprentissage de la lecture ou du calcul a comme résultat qu’ils la trouvent moins bonne et en consomment moins, que ce soit des carottes ou des craquelins Fins au blé (Wheat Thins) (1).

L’intérêt particulier de cette étude est de montrer que la réaction de l’enfant ne provient pas d’un apprentissage direct. L’enfant a pu apprendre par expérience que les aliments que ses parents lui présentent comme bons pour la santé ont un moins bon goût. Mais il est peu probable qu’avant de participer à l’étude, les enfants aient appris que les aliments qui les aident à apprendre à lire et à compter sont moins bons (d’autant plus que ce n’est pas le cas).

En fait, les enfants déduisent que, si la nourriture a des bénéfices extrinsèques (faciliter l’apprentissage), elle doit probablement avoir moins de bénéfices intrinsèques (avoir bon goût). Sans même en avoir la preuve, ils modifient leurs attitudes (diminution de l’évaluation de la qualité gustative de la nourriture) et leur comportement (diminution de la quantité de nourriture réellement consommée), simplement si on les informe que la nourriture a des bénéfices autres que le goût!

Promettre à un enfant qu’il aura du dessert s’il termine son plat principal est pire puisque, dans ce cas, il y a une récompense immédiate qui est offerte. Les enfants en déduisent que si on leur offre une récompense pour un comportement, c’est que celui-ci est déplaisant ou demande un effort. La nourriture doit être mauvaise si on offre une récompense pour la manger.

Ce n’est pas facile de bien faire manger nos enfants, surtout avec toutes les cochonneries que l’industrie agroalimentaire essaie de leur faire avaler, légalement (ce qui ne veut pas dire légitimement) ou illégalement, en violant la loi québécoise d’interdiction de la publicité aux enfants de moins de 13 ans comme McDonald’s, Burger King ou Saputo.

Cette loi est unique en Amérique du Nord, il y a de quoi en être fier.

Mais les compagnies qui s’adressent aux enfants sont comme des enfants. Il faut les chicaner régulièrement.

Photo : Oren Jack Turner [domaine public] via Wikipedia

(1) Maimaran, Michal, et Ayelet Fishbach. 2014. « If It’s Useful and You Know It, Do You Eat? Preschoolers Refrain from Instrumental Food ». Journal of Consumer Research, vol. 41, no 3, p. 642-655. doi : 10.1086/677224

Libre arbitre

22 - AspirateurLes gens de droite sont soit ignorants, soit idéalistes. Par exemple, ils croient encore à l’égalité des chances à l’école, idée anéantie par les travaux de Pierre Bourdieu et quelques collègues, il y a déjà plusieurs décennies. Ils s’offrent du confort intellectuel en pensant qu’ils doivent leur réussite sociale principalement à eux-mêmes. Cette idéologie du mérite est dans l’air du temps et se résume dans l’ineffable slogan de cosmétiques « parce que je le vaux bien ».

Un corollaire à cette vision du monde social est la croyance au libre arbitre, cette idée fondatrice de notre société de consommation selon laquelle chaque citoyen-consommateur est libre d’acheter ce qu’il veut. Cette croyance est fort utile. Par exemple, elle immunise les vendeurs, les publicitaires et tous ceux qui œuvrent dans le monde commercial contre tout reproche de vendre des choses trop chères, inutiles ou nuisibles. La croyance au libre arbitre fonctionne comme un antibiotique à large spectre.

Cette idée de libre arbitre, ou libre choix, ne fait consensus ni parmi les philosophes, ni parmi les scientifiques. Elle est cependant très répandue. Cela s’explique en partie parce que nous faisons des choix qui nous apparaissent exempts d’influence externe. Surtout au centre commercial, peut-être le seul lieu où la liberté débridée est non seulement socialement acceptée, mais encouragée. De ces expériences quotidiennes, on en déduit une théorie, celle du libre arbitre. Mais une étude récente (1) montre que cette croyance au libre arbitre est renforcée par notre motivation à tenir les autres responsables de leurs actions.

Cette étude conclut que la croyance dans le libre arbitre est liée au désir de punir. Croire au libre arbitre a une fonction sociale essentielle, celle de pouvoir condamner légitimement une mauvaise action. Il n’est donc pas étonnant que, dans le système de justice, lorsque le libre arbitre apparaît diminué (démence, jeune âge, etc.) la sentence est réduite. Par ailleurs, dans les pays où le taux de criminalité est plus élevé, la croyance dans le libre arbitre est plus élevée.

Dans cette étude, on apprend aussi que, lorsque confrontée à un comportement fautif (corruption, vol, triche), la croyance dans le libre arbitre en général d’un bon citoyen est plus forte, et pas seulement la croyance dans le libre arbitre du malfaiteur. Cela veut dire que nous augmentons momentanément notre croyance dans le but de tenir l’autre responsable de ses actions. Parce que les malfaiteurs le méritent bien. Et, moi, je mérite bien mon confort intellectuel.

Transposé au monde de la consommation, cette malléabilité de la notion de libre arbitre est éclairante. Cela explique, par exemple, que nous pouvons défendre bec et ongles l’idée du libre arbitre, lors d’une joute verbale avec un gauchiste borné, tout en étant offusqué que notre grand-mère se soit fait vendre un aspirateur par un vendeur itinérant ou un abonnement viager à Sélection du Reader’s Digest.

Plus généralement, ces résultats mettent en évidence qu’une croyance ne dérive pas seulement de notre expérience ou de nos connaissances, mais aussi d’un désir. Ainsi, un parti pris politique serait issu non seulement d’une expérience du monde social, mais aussi d’un désir relié au monde social. En ce qui concerne la consommation, la croyance dans le libre arbitre est renforcée par le désir de tenir les autres responsables de leurs achats, condition sine qua non du libre marché et de la société de consommation. Cela permet d’affirmer que le surendettement, l’obésité, le jeu compulsif, ce n’est pas la faute à la publicité, à la vente et autres activités de marketing, c’est de ta faute, gros cave.

Vive le libre arbitre. Grâce à toi, les gouvernements doivent réglementer au minimum les marchés, tout en engageant des compagnies d’études de marché et des agences de publicité, pour faire des campagnes de marketing social auprès des surendettés, des obèses et des joueurs compulsifs.

(1) Clark, Cory J., Jamie B. Luguri, Peter H. Ditto, Joshua Knobe, Azim F. Shariff et Roy F. Baumeister (2014). « Free to punish: A motivated account of free will belief ». Journal of Personality and Social Psychology, vol. 106, no 4, p. 501-513. doi : 10.1037/a0035880

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Petit clown

ClownÀ moins d’être riche, dépenser son argent demande de faire des choix. Il faut donc prévoir ce qui nous rendra le plus heureux. Pas facile…

Certes, il vaut mieux partir en voyage que changer de voiture. C’est-à-dire qu’il est préférable de se payer une expérience que d’acquérir un objet. En effet, la mémoire d’une expérience est unique, difficilement comparable avec celle de son voisin, et peut même s’embellir avec le temps. Tout le contraire d’un objet.

Mais il reste encore beaucoup de choix. La question à se poser est la suivante : Vaut-il mieux s’offrir quelques expériences extraordinaires ou beaucoup d’expériences ordinaires? Faire un grand voyage ou plusieurs petits voyages? Cela dépendrait de l’âge (1). Les expériences extraordinaires rendent les jeunes plus heureux, mais pas les vieux.

En général, les jeunes sont à la recherche d’excitation et de stimulation. De plus, comme ils perçoivent le temps qu’il leur reste à vivre comme très étendu, ils ont tendance à s’engager dans des activités qui les préparent à leur futur. Ils vont donc davantage rechercher des expériences extraordinaires, qui contribuent à leur « CV expérientiel » et qui les aident à construire leur identité pour le futur.

En revanche, les vieux sont généralement à la recherche de calme et de stimulation moindre. De plus, comme ils perçoivent le temps qu’il leur reste à vivre comme limité, ils ont tendance à s’engager dans des activités qui sont satisfaisantes dans le présent. Ils vont donc davantage savourer les expériences ordinaires, qui leur permettent de définir qui ils sont actuellement.

En fait, plus on vieillit, plus on utilise le temps avec soin. Apprendre à savourer les petits plaisirs du quotidien, c’est apprendre à utiliser son temps libre intelligemment. D’un point de vue de vieux.

Évidemment, l’âge de la vieillesse varie beaucoup d’une personne à l’autre. On peut devenir vieux jeune ou rester jeune vieux.

De leur côté, les jeunes pensent qu’ils auront amplement le temps plus tard de profiter des petites choses du quotidien. Ils sont donc moins intéressés à regarder des films de répertoire ou à cueillir des champignons.

Vu de cette manière, si tu te payes un voyage dans l’espace pour tes 50 ans, c’est une preuve d’immaturité. Surtout si tu te mets un nez de clown.

(1) Bhattacharjee, Amit, et Cassie Mogilner (2014), « Happiness from Ordinary and Extraordinary Experiences », Journal of Consumer Research, 41 (1), 1-17. doi : 10.1086/674724

Photo : 4rank [CC BY-NC 2.0] via flickr

Porsche ou REER?

Paon

Le samedi soir, à Montréal, sur le boulevard Saint-Laurent ou la rue Crescent, des hommes se pavanent. Chacun veut montrer qu’il a la plus belle et la plus grosse voiture. C’est bien connu, les femmes sont attirées par les riches.

Dans les rues de Manille, de Paris ou d’Alger, les hommes adoptent un comportement similaire. Ainsi, la consommation ostentatoire de produits de luxe peut être interprétée comme une stratégie reproductive, d’origine évolutionnaire et non culturelle. D’ailleurs, ce type de comportement est courant dans le règne animal. Par exemple, chez les paons, chacun veut montrer qu’il a la plus belle et la plus grosse queue.

Les femmes sont tout aussi stratégiques que les hommes. Mais la stratégie reproductive féminine s’inscrit sur le long terme, puisque leur éventuel investissement parental demeure plus élevé que celui des hommes, ne serait-ce que biologiquement, durant la grossesse. C’est pour cela qu’en général, elles sont plus sélectives dans le choix de partenaires que leurs congénères masculins.

En fait, la voiture de luxe et la queue de paon sont des « signaux coûteux » : inutiles, voire nuisibles, ils montrent que leur propriétaire a le luxe de gaspiller des ressources, qu’elles soient financières ou métaboliques, respectivement.

Le problème est que la stratégie masculine se révèle paradoxale. L’étalage de produits de luxe envoie un message de mauvaise utilisation de ressources financières abondantes. En effet, dans une logique reproductive, madame préférera que monsieur achète des REER plutôt qu’une Porsche.

En fait, les hommes envoient un message plus subtil que les paons lorsqu’ils se pavanent (1). Les hommes ont davantage tendance à adopter un comportement de consommation ostentatoire, comme se promener en Porsche le samedi soir devant des entrées de bar, lorsqu’ils recherchent des relations à court terme plutôt qu’une relation à long terme. Cette stratégie apparaît efficace, puisque les femmes semblent décoder le message.

Dit autrement, les femmes qui recherchent une relation à court terme avec des bénéfices immédiats, comme passer du bon temps, faire des sorties, voire recevoir des cadeaux, sont susceptibles d’être attirées par les hommes-paons. Mais les femmes qui recherchent une relation à long terme le seront moins. Il semble que le gaspillage ne soit attirant qu’à court terme.

Moralité : mon gars, si tu cherches la femme de ta vie, range ta Porsche et sors ton relevé de REER.

Mieux : vends ta Porsche pour « booster » ton REER. Et non l’inverse.

(1) Sundie, Jill M., Douglas T. Kenrick, Vladas Griskevicius, Joshua M. Tybur, Kathleen D. Vohs et Daniel J. Beal (2011), « Peacocks, Porsches, and Thorstein Veblen: Conspicuous consumption as a sexual signaling system », Journal of Personality and Social Psychology, 100 (4), 664-680. doi: 10.1037/a0021669

Photo : Tambako The Jaguar [CC BY-ND 2.0] via flickr

Imperfection féminine

Perfection

[…] avoir du style, ce n’est pas suivre la mode. C’est s’habiller pour mettre en valeur ce que vous aimez et cacher ce que vous détestez de votre corps. (1) What not to Wear – The Rules

L’idée de base de l’émission de téléréalité What not to Wear, et de plusieurs livres associés, est que les caractéristiques du corps de chaque femme déterminent ce qu’elle devrait porter, et non la mode (2). Il est vrai que suivre la mode, qui consiste à se laisser dicter à chaque saison quoi porter, est une habitude bizarre.

Voilà une idée pleine de bon sens, rebelle, libératrice!

Eh bien non! Non seulement cette idée pousse les femmes à analyser leur corps de manière critique, mais les bonzes de cette pseudo-rébellion n’ont aucune gêne à indiquer ce que chacune peut porter, et surtout ne pas porter.

Dans cette logique, s’il est inapproprié de suivre aveuglément la mode, il est aussi immoral d’être indifférent au style vestimentaire, puisque l’apparence reflète les valeurs morales d’une personne. L’anxiété créée par l’étroitesse de la zone de bon goût peut être diminuée en consommant les livres de psycho pop dédiés, ou l’émission de téléréalité éducative What not to Wear elle-même.

Mais comment arrive-t-on à piéger idéologiquement des femmes qui se pensent libres? Trois techniques de gouvernementalité (3), c’est-à-dire, très grossièrement, de manipulation, sont employées : la normalisation, la confession et la responsabilisation.

Premièrement, les gourous du bon goût édictent des normes auxquelles se conformer. Comme les règles sont d’abord organisées par parties du corps, et rationnellement justifiées, elles paraissent avoir une crédibilité presque scientifique. Une de ces règles absolues est que les femmes avec des chevilles et des mollets larges ne devraient jamais porter de pantalon capri. Pour elles, capri, c’est fini.

De plus, les femmes doivent scruter leur corps pour savoir à quelle catégorie de silhouette elles appartiennent : pomme, poire, vase, cloche, etc. Par exemple, les femmes dans la catégorie « brique » ne doivent « jamais porter de vestes droites, de manteaux croisés, de mini-jupes ». Si j’ai bien compris, il ne faut pas ajouter de forme rectangulaire à un corps rectangulaire. Pas d’another brick in the wall.

Deuxièmement, les femmes doivent avouer leurs imperfections, au moins à elle-même, et à la Terre entière si elles veulent faire partie de l’émission What not to Wear. La confession constitue un passage obligé pour devenir un être moralement supérieur.

Troisièmement, les femmes doivent se responsabiliser. C’est facile de les pousser dans cette direction, puisque toutes celles qui ont été élevées dans une société de consommation sont persuadées d’être libres. Or, un individu libre a le pouvoir de choisir. Donc, ne pas être élégante ne peut être attribué à des causes externes. C’est inexcusable :

Vous dites à ceux qui remettent en question votre apparence […] : « Mes enfants ont besoin de moi… » Ce n’est pas de leur faute si vous avez l’air d’une bouteille d’assouplissant de marque maison. (1) What your clothes say about you

L’idéologie disséminée par What not to Wear et les livres associés fonctionne comme une religion : énoncer les choses à faire et à ne pas faire, pousser à la confession et culpabiliser. La recette fonctionne depuis des siècles…

D’ailleurs, un des livres de référence s’intitule The Body Shape Bible.

Pouvoir choisir (suivre la mode ou s’habiller en fonction de sa silhouette) n’est pas synonyme de libération. Se libérer d’une idée oppressante (la mode) n’équivaut pas à se libérer tout court.

Mais veut-on être plus libre?

« Obey your master / Your life burns faster » (Hetfield, Ulrich, Burton, Hammett)

(1) Traduction libre.

(2) Mikkonen, Ilona, Handan Vicdan et Annu Markkula (2014), « What not to wear? Oppositional ideology, fashion, and governmentality in wardrobe self-help », Consumption Markets & Culture, 17 (3), 254-273. doi: 10.1080/10253866.2013.778174

(3) Terme créé par Michel Foucault ; pour en savoir plus, voir, par exemple l’article de Wikipédia ou l’article en référence de ce billet de mon blogue.

Photo : Tigist Sapphire [CC BY-SA 2.0] via flickr

Matérialisme et réussite scolaire

Vroum VroumLes enfants matérialistes réussissent moins bien à l’école (1).

Le matérialisme consiste à croire que l’accumulation de beaux objets est essentielle au bonheur, ainsi qu’à utiliser ces objets pour montrer son succès. Nous sommes donc tous plus ou moins matérialistes.

Or, la littérature scientifique est éloquente : le matérialisme est une tare. Les enfants et adolescents matérialistes sont plus anxieux et plus dépressifs. Ils ont une moins bonne estime d’eux-mêmes et ont souvent des problèmes relationnels. Ils ont plus tendance à se comparer et ressentent plus la pression des pairs. Ils sont même moins enclins à protéger l’environnement.

Le matérialisme se développe dès l’enfance. À partir de 8 ans, faire partie d’un groupe devient une préoccupation majeure. Bombardés de messages commerciaux, les enfants sont pris dans une logique consommateuriste implacable : ils doivent posséder tel ou tel objet pour appartenir au groupe. Et les parents peuvent difficilement résister, puisque le bien-être psychologique de leur enfant en dépend.

Ainsi, la motivation pour l’acquisition d’un objet cool n’est pas d’avoir quelque chose d’utile, ni même de se faire plaisir. Il s’agit d’appartenir au groupe, mais aussi de susciter l’admiration et d’acquérir du pouvoir.

Les enfants matérialistes vont adhérer davantage à cette logique, qu’ils transposent à l’école. Leur préoccupation est moins d’apprendre de nouvelles choses que d’avoir l’air intelligent. Ils sont moins intéressés à développer leurs compétences qu’à démontrer leurs compétences.

Ainsi, quand les enfants matérialistes achètent des objets, leur but est plus extrinsèque (être populaire) qu’intrinsèque (avoir du plaisir). Parallèlement, quand ils vont à l’école, leur but est plus extrinsèque (se valoriser) qu’intrinsèque (apprendre). Étant moins motivés à apprendre, ils obtiennent de moins bons résultats scolaires.

Notons que, si on conçoit l’intelligence comme un don, c’est-à-dire quelque chose de fixe, on va vouloir la montrer. Si on conçoit l’intelligence comme quelque chose de malléable, on va vouloir la développer.

Nos enfants et adolescents vivent dans une société matérialiste où l’éducation permet de se placer dans l’échelle sociale. Cette vision instrumentale de l’éducation est parfaitement en adéquation avec la vision socialement instrumentale de la consommation.

Ne nous étonnons pas; nos enfants nous imitent.

(1) Ku, Lisbeth, Helga Dittmar et Robin Banerjee (2014), « To have or to learn? The effects of materialism on British and Chinese children’s learning, » Journal of Personality and Social Psychology, 106 (5), 803-821. doi: 10.1037/a0036038

Photo : NRMA Motoring and Services [CC BY 2.0] via flickr

Mon épicier et moi

Cadeau profLes entreprises commerciales sont tellement bienveillantes qu’elles collectent des renseignements dans le but de mieux nous servir. En fait, elles nous prennent pour des imbéciles. Il est évident que c’est pour nous vendre davantage de choses.

Mais il y a autre chose, beaucoup moins évident à déceler. Ces big data leur permettent aussi de façonner notre vie sociale.

Examinons l’exemple de la carte de fidélité Clubcard de Tesco, premier détaillant britannique. Dans un billet précédent, j’avais montré comment ce système exploite notre insécurité de consommateur. Dans le présent billet, c’est un mécanisme social, et non un état psychologique, qui est exploité.

Notons que l’information suivante a été publiée par la compagnie elle-même, sur son site Internet, en 2009, et retirée ensuite (1).

Le détaillant a constaté une augmentation de la vente de fleurs et de vin au début de l’été. Cela ne correspondait ni à la fête des Mères, ni a la fête des Pères, ni à aucune autre fête commerciale. Mais, grâce aux données recueillies sur les utilisateurs de la carte Clubcard, Tesco a pu savoir que cette augmentation provenait de familles avec des enfants d’âge scolaire. De là, il a pu être déduit qu’il s’agissait de cadeaux de fin d’année pour les enseignants du primaire et du secondaire.

Après avoir révélé les faits, le détaillant expose ses motivations bienveillantes. Ces renseignements lui ont permis de prévoir l’augmentation de la demande les années suivantes, et donc de s’assurer de combler parfaitement les besoins de ses clients.

Merci Tesco! Grâce à une ingénieuse application de la technologie du 21e siècle, le risque de rupture de stock de fleurs et de vin en début d’été a été éradiqué. Les enseignants sont certains d’avoir leur cadeau, et les parents ne risquent plus de devoir aller dans un autre magasin que Tesco. Que d’angoisse évitée. Vive le progrès!

Ajoutons un élément, dont la compagnie ne se vante pas. Les cadeaux potentiels pour des enseignants bénéficient certainement de promotion ciblée, à chaque fin d’année scolaire.

Ainsi, le grincheux ne voit pas les choses de la même manière que l’épicier. En mettant de l’avant certains produits à un moment précis de l’année, et en les associant à un comportement social naissant, le marchand érige en norme un comportement qui aurait pu rester marginal ou disparaître. Dit autrement, l’épicier façonne le comportement de consommation de la société.

Par un mécanisme similaire, une fête aussi socialement insignifiante que la Saint-Valentin comprend désormais son lot d’obligations sociales, c’est-à-dire d’obligations d’achat.

Mais bon, une telle technique est très discrète (à condition que l’épicier n’ait pas la maladresse de faire des aveux sur son site Internet). Il aurait donc tort de s’en priver.

La question qui tue, pour finir : avoir conscience du pouvoir social de l’épicier change-t-il quelque chose?

(1) Beckett, Antony (2012), « Governing the consumer: technologies of consumption, » Consumption, Markets & Culture, 15 (1), 1-18. doi: 10.1080/10253866.2011.604495

Photo : Onno Bruins [CC BY-NC-SA 2.0] via flickr

Fantastique centre commercial

Magic KingdomParmi les créations de la société de consommation, le centre commercial est probablement la plus fantastique. C’est tout à la fois un château fort, un casino, un parc d’attractions, une destination touristique, un centre-ville et un écosystème idéal.

Comme un château fort, une fois passé les douves (les stationnements) et les fortifications (des murs de béton sans fenêtres), le centre commercial invite à vivre en autarcie, protégé des envahisseurs (les piétons, les marginaux, la saleté, etc.).

Comme un casino, le centre commercial est une enclave minutieusement organisée pour pomper un maximum d’argent à ceux qui s’y aventurent. Il est impossible de voir à l’extérieur, mais, de toute façon, il n’y a rien d’intéressant. C’est un lieu très discrètement surveillé où des comportements déviants sont découragés : regroupement de jeunes, repos sans consommation, lecture, prise de photos, etc.

Comme un parc d’attractions, le centre commercial est un monde merveilleux. Tout ce qui est logistique est caché : les livraisons, le ramassage des déchets, le nettoyage, etc. Il fait oublier que les objets sont rapidement périssables et source d’emmerdes. Ainsi, les boutiques de réparation, les cordonneries, les ateliers de couture, les buanderies, les boutiques de produits d’occasion, etc. sont exclus, ou relégués dans une partie faiblement achalandée (1).

Comme une destination touristique, le centre commercial nous fait voyager dans le temps et dans l’espace. Il offre un espace piétonnier, des terrasses, des fontaines, des statues, voire carrément une ambiance de Grande-Bretagne victorienne ou de vieille Europe du Sud.

Comme un centre-ville, il offre un espace à taille humaine où, libéré de son armure automobile, le banlieusard peut vivre une expérience sociale. Le centre commercial recrée, en version aseptisée, le centre-ville qu’il a lui-même réussi à détruire dans la plupart des villes d’Amérique du Nord. Dans ce lieu social idéal pour la classe moyenne, la criminalité, la pauvreté, la saleté et la congestion automobile n’existent pas.

Comme dans un écosystème idéal, le climat du centre commercial est parfaitement adapté aux besoins de l’Homo magasinus. Aucun risque de sueur, ni de frissons. Le centre commercial dompte le soleil, le vent et la terre. Il constitue la solution au réchauffement climatique.

Comment résister à ce monde fantastique?

(1) Goss, Jon (1993), « The « Magic of the Mall »: An Analysis of Form, Function, and Meaning in the Contemporary Retail Built Environment, » Annals of the Association of American Geographers, 83 (1), 18-47. URL stable

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